Du Pakistan à l'Iran : un chemin semé d’embûches (3/3)

 

Du 28 août au 18 septembre 2018.

Lorsque, cinq mois plus tôt, nous avons décidé de rentrer en Europe par voie terrestre à partir de Calcutta en Inde, nous savions qu’il nous faudrait transiter par le Pakistan puis l’Iran, en passant par la province du Baloutchistan. Au vu de la situation géopolitique de la région, nous savions que cette traversée ne serait pas une croisière tranquille. 

L'ancien territoire du Baloutchistan ici hachuré en blanc.
L'ancien territoire du Baloutchistan ici hachuré en blanc.

Quelques notions géopolitiques : Baloutches, Pachtounes, Talibans afghans et Talibans pakistanais.

 

Territoire historiquement à cheval entre les actuels Iran, Afghanistan et Pakistan, le Baloutchistan est divisé par les britanniques à la fin du 19ème siècle entre l’Empire des Indes, la Perse et l’Afghanistan, séparant arbitrairement des tribus partageant la même langue et la même organisation sociale. Avec la fin de la période coloniale en 1947, l’ancien Baloutchistan reste fragmenté au profit de l’indépendance du Pakistan qui récupère l’ancienne partie britannique.

Cette région montagneuse et désertique est la moins peuplée du Pakistan. Malgré les richesses de son sous-sol (encore peu exploitées) et sa façade maritime stratégique, la population y est paradoxalement bien plus pauvre que dans le reste du pays. Ce décalage contribue à alimenter les rancœurs du peuple baloutche à l’égard d’un pouvoir accusé de ne pas assez investir dans la région. Depuis l’indépendance du Pakistan, des guérillas locales opposent l’armée pakistanaise aux séparatistes qui revendiquent un grand Baloutchistan indépendant, sur la base des frontières historiques.

 

Les Pachtounes, l’autre ethnie importante de la région, vivent de part et d’autre de la frontière entre l’Afghanistan et le Pakistan. Les Talibans, majoritairement pachtounes, ont été soutenus pour prendre la tête de l’Afghanistan par le Pakistan, qui voulait tenir son voisin dans son aire d’influence et éviter de se retrouver pris en étau entre un Afghanistan fort qui pourrait s’allier avec l’Inde. Suite aux attentats terroristes de 2001 aux Etats-Unis, les Talibans ont été chassés du pouvoir afghan par les Américains. Ils ont depuis trouvé refuge dans le désert du Baloutchistan pakistanais où ils bénéficient du soutien d’une partie de la population. Même si, suite aux attentats, le gouvernement pakistanais a annoncé sa volonté de combattre les terroristes aux côtés des américains, il y a toujours des doutes sur leur réel soutien. D’ailleurs, c’est à seulement cinquante kilomètres de la capitale pakistanaise, bien loin du Baloutchistan, que Ben Laden s’est caché pendant cinq années… Quetta, la capitale du Baloutchistan pakistanais, située à une centaine de kilomètres de l’Afghanistan, reste le symbole du pouvoir taliban en exil. A la mort du leader des Talibans en mai 2011, elle a été le théâtre d’une  manifestation pro-Ben Laden… La ville a été frappée par dix attentats en avril 2018. Les habitants du Pendjab (région adjacente au Baloutchistan) eux-mêmes auraient peur de se rendre dans cette province.

 

Comme si cela ne suffisait pas, la zone est également devenue un point de repli pour les talibans pakistanais qui s'opposent au pouvoir en place dans le cadre de conflits dans le nord-ouest du pays.

 

Enfin, le Baloutchistan est aussi une plaque tournante du trafic mondial d’héroïne. On nous a raconté comment la drogue transite de l’Afghanistan à l’Iran, histoire d’avoir une anecdote pour briller en société : les trafiquants rendent des chameaux accro à l’opium ! Le camélidé traverse seul les étendues désertiques de part et d’autre de la frontière avec sa cargaison. Arrivé côté Iranien, les trafiquants récupèrent son chargement et récompensent le chameau opiomane.

 

Pour toutes ces raisons, nous ne prévoyons vraiment pas de nous attarder dans le coin… Mais au passage, nous avons tout de même bien envie de tester l’hospitalité pakistanaise devenue légendaire au fur et à mesure de nos rencontres : nous avons gardé contact avec une bande de motards rencontrée deux semaines plus tôt dans les montagnes, qui nous a invités chez eux, à Quetta.

 

Allez, un petit coup de bus, un petit coup de train, une soirée chez l’habitant et hop, au revoir cher Pakistan !

 

 

Ça, c’était le plan sur le papier. Il nous aura en fait fallu 8 jours pour rejoindre l’Iran !

Jour 1 : Prairie des fées - Islamabad

 

Après un ultime coup d’œil sur le Nanga Parbat, géant himalayen culminant à 8125 mètres, et un dernier dahl en guise de petit-déjeuner, il est temps de quitter la prairie des fées et la province montagneuse de Gilgit Baltistan. Après une heure de piste à flanc de montagne pour redescendre sur la route principale, notre long périple se poursuit par un trajet interminable pour rejoindre la capitale, Islamabad. Il nous faudra ainsi seize heures dans un van prêt à craquer pour parcourir un peu plus de quatre cents kilomètres. Après onze mois, nous avons bien intégré le fait que les déplacements font pleinement partie du voyage. Inutile de s’impatienter. 

Comme à l’aller, le van compte une arme à son bord ainsi qu’un homme plus ou moins en charge de la sécurité. Le fusil à pompe est posé à proximité de notre siège, n’importe qui pourrait s’en emparer. Et lorsque les virages sont trop secs, l’arme nous tombe carrément sur les pieds. C’est assez surréaliste ! A chaque check-point, nous devons sortir du véhicule pour nous enregistrer auprès de la police locale. 

Dix jours plus tôt, à l’aller, il avait fallu nous munir de pas moins de 7 copies de nos passeports à distribuer lors des différents barrages. Même si personne ne montre un quelconque signe d’agacement, la démarche est tellement répétitive qu’au bout d’un moment, le chauffeur nous fait signe de nous cacher à l’approche des postes de contrôle afin d’éviter un nouvel arrêt. Après deux pauses repas, autant d’arrêts pour la prière, une réparation de la roue et trois arrêts toilettes, nous arrivons épuisés à Islamabad, il est 2h30 du matin. 

Jour 2 : Islamabad - Lahore

 

Après une courte nuit, nous décidons au dernier moment de rejoindre Lahore en bus pour attraper le train du jour en direction de Quetta. Manque de chance, le « Jaffar Express » nous file entre les doigts à deux minutes près. Nous devons attendre le prochain, vingt-quatre heures plus tard. Ce sera l’occasion de retrouver Ashan, notre ami pakistanais vivant à Lahore, pour la soirée. 

Jours 3 et 4 : Lahore – Quetta

 

Le jour suivant, nous prenons place dans le train pour un trajet de vingt-quatre heures. Nous faisons rapidement connaissance avec nos compagnons de voyage dont Naeem, étudiant en médecine à Lahore. Originaire de Quetta, il rentre pour les vacances. 

Afin de profiter pleinement de la vue sur le désert que nous traversons, Vincent descend du train entre deux arrêts pour dépoussiérer la vitre de notre compartiment. Pendant l’opération de nettoyage, un groupe d’hommes s’avance vers lui et engage la conversation. L’un d’eux déclare :

« Allah est mon Créateur. Et toi, qui t’a créé ? »

Mi-amusé, mi-étonné, Vincent s’en sort par une pirouette. Difficile en effet de répondre :

 « Ben, mon père et ma mère. »

Les discussions avec Naeem et un autre voyageur vont bon train, lorsqu’à un arrêt, un couple entre dans notre compartiment. Notre conversation est stoppée net : la femme est tout de noir vêtue et porte le niqab (voile cachant tout le haut du corps, y compris le visage à l’exception des yeux). Après quelques heures de train, nous nous étions mis à l’aise. Nous rassemblons rapidement nos affaires pour leur faire de la place. Ils s’assoient sur la banquette en face de nous. Bien entendu, nous avons régulièrement eu l’occasion de voir des femmes couvertes ainsi depuis notre arrivée dans le pays mais jamais d’aussi près, et encore moins dans un espace aussi restreint qu’un compartiment de train. Quelque part, cela nous impressionne un peu. L’un de nos compagnons de voyage le note et nous dit en anglais : « Ça doit vous changer ». La situation prend rapidement un tournant comique puisque nous ne pouvons nous empêcher de jeter des coups d’œil au couple, qui en fait de même, sans doute intrigué par notre accoutrement, notamment l’habit à l’occidentale de Mélanie (pantalon et t-shirt). Finalement, tout le monde se sourit et semble se comprendre malgré les différences.

A l’approche du Baloutchistan, les contrôles d’identité s’intensifient. En tout, cinq ou six vérifications ainsi que deux passages de la brigade canine pour repérer drogues et explosifs. Dehors, les grandes étendues désertiques nous font prendre conscience de la dureté de la région, et de la difficulté de la contrôler. Nous repensons à ce que nous avons appris sur cette province les jours passés… 

A l’arrivée en gare de Quetta, nous sommes attendus dès la sortie du train par la police anti-terroriste qui a été avertie de notre arrivée. Les policiers, munis de gilets pare-balle avec inscrit « NO FEAR » (« SANS PEUR ») dessus, ont pour ordre de nous escorter à l’un des deux hôtels sécurisés de la ville, seuls habilités à accueillir des étrangers. Nous essayons de protester, arguant qu’il est prévu que nous allions chez des amis habitant Quetta. Ceux-ci sont d’ailleurs en route vers la gare pour nous accueillir. Naeem, notre ami étudiant du train, essaie de nous aider mais la police ne veut rien savoir et n’a guère de temps à perdre avec nous. Nous quittons la gare dans un pick-up de la police, en direction de l’hôtel Bloom Star. Debout à l’arrière, un homme se tient derrière une mitraillette fixée sur le toit. La police nous laisse aux mains du gérant de l’hôtel, un colosse pas drôle du tout qui aime qu’on lui obéisse sans poser de questions.

Nos amis Nasir et Tahir, qui devaient nous héberger, débarquent peu après et tentent une négociation. Là-dessus, Naeem arrive également avec un cousin et se mêle à la conversation. N’en comprenant pas un mot, nous les observons débattre, passifs. Au milieu du hall de l’hôtel, le ton commence à monter et les curieux à se masser. Tout cela semble surréaliste, nous avons l’impression d’être arrivés dans un autre monde, ou plutôt dans un film d’espionnage ! Loin de se démonter devant tout ce monde, le patron finit par s’énerver auprès de nos visiteurs :

 « Vous n’avez même pas le droit de leur adresser la parole ! »

Nous apprenons que personne n’est autorisé à nous rendre visite sans une autorisation spéciale obtenue auprès de la police. Nous avons du mal à admettre d’être « prisonniers » dans cet hôtel alors que des locaux devaient nous héberger, ce qui constituait une expérience bien plus enrichissante... Un client nous aborde et nous conseille de prendre la situation très au sérieux. Une bombe aurait explosé il y a trois jours à proximité de Quetta. Nous comprenons qu’il n’y a en fait pas de place pour de la négociation. Le client nous explique que la méfiance du gérant à l’égard de nos amis est justifiée puisqu’il ne les connait pas, il ne peut pas répondre de leurs intentions à notre égard. S’agit-il de terroristes qui cherchent à nous tendre un piège ? Dans le doute, le patron applique les consignes à la lettre. Son animosité se tasse lorsque Nasir et Tahir indiquent qu’ils travaillent pour l’administration locale et confirment les circonstances de notre rencontre deux semaines plus tôt dans le nord du pays. Ils sont attristés de ne pas pouvoir nous donner l’hospitalité et promettent d’obtenir l’autorisation afin de nous visiter rapidement. Naeem, l’étudiant en médecine, réussit à obtenir en quelques heures une autorisation de la police, via son frère haut placé. Il nous rejoint le soir même pour le dîner, à l’hôtel bien entendu.

Jour 5 : Quetta - ….toujours Quetta car c’est dimanche !

 

Le lendemain matin, le responsable d’une formation en nutrition se déroulant à l’hôtel pendant quelques jours nous explique la situation. Alors que nous prenons le petit déjeuner dans le patio, il désigne du doigt un jardinier en train d’arroser les plantes avant d’ajouter :

«  Vous voyez ce monsieur, et bien peut être que c’est un Taliban. On ne peut pas savoir. »

 Sur le coup, cela nous paraît exagéré mais devant son air sérieux, nous nous abstenons de toute remarque. Il en sait certainement bien plus que nous.

Nous apprenons que pour nous rendre en Iran, nous avons besoin d’un certificat de non-objection (NOC) à quitter le territoire et qu’une escorte policière doit être organisée jusqu’à la frontière. Manque de chance, nous sommes dimanche et l’administration en charge de délivrer ce document est fermée. Nous devons donc patienter une journée à l’hôtel, sans pouvoir sortir. 

Nous mettons ce temps à profit pour avancer notre blog et pour échanger avec les clients de l’hôtel. Par chance, notre « prison » accueille en ce moment une formation en nutrition, dont la majorité des participants sont des femmes. Depuis notre arrivée dans le pays, nous avons très peu été en contact avec la gente féminine. En théorie, les femmes dans la région sont autorisées à travailler et à sortir seules, mais en pratique c’est rarement le cas. Elles sont le plus souvent accompagnées par un membre masculin de leur entourage. Notre présence intrigue ces femmes venues des villages voisins qui ont peu d’occasion de rencontrer des étrangers. Les plus téméraires viennent nous aborder pour nous demander notre nationalité et prendre une photo avec nous. Les choses se gâtent quand nous leur demandons à notre tour une photo avec elles. Nos premières demandes se heurtent à des refus catégoriques. Face à notre incompréhension, une jeune femme nous explique avoir peur que la photo se retrouve sur les réseaux sociaux, avec des commentaires déplacés, ce qui entacherait sa réputation. A force de les rassurer sur le caractère privé de ces photos dont nous prendrons soin, les plus courageuses acceptent de poser avec nous, suivies de près par les plus timides qui sautent le pas. L’une d’entre elle est même allée demander l’autorisation à sa mère, présente dans l’hôtel. Cet acte banal pour nous semble représenter un acte de bravoure pour certaines d’entre elles. Ce confinement forcé aura permis de découvrir un autre pan de la société pakistanaise et pas des moindres.

Dans le hall d’entrée, nous sommes invités à nous joindre à un drôle de spectacle. L’un des employés, sans doute un ancien comique, a branché la sono et enchaîne des imitations et bruitages de la vie quotidienne pakistanaise devant un public hilare. Après trois semaines passées au Pakistan, nous sommes vite pris d’un fou rire en l’entendant imiter des choses aussi banales que le train ou encore la chèvre. Naeem nous apprendra plus tard que la profession de comique au Pakistan est très périlleuse, les sujets de plaisanterie « autorisés » étant assez limités.

 

Le soir, Naeem nous rejoint une nouvelle fois pour le dîner, avec un immense plateau de gourmandises sucrées dans les mains ! Alors que nous parlons, son téléphone sonne. Ce sont les services de renseignent qui l’appellent pour l’interroger à propos de nous ! Ils l’ont questionné pour savoir ce que nous venons faire ici et comment nous nous connaissons.

Jour 6 : Quetta - …encore Quetta ! Une journée pour la paperasse.

 

Le lendemain, direction l’administration pour demander le précieux NOC en compagnie de deux voyageurs italiens arrivés la veille depuis l’Iran. En passant, nous notons tout de suite que la femme italienne est arrivée voilée à l’hôtel, et ce n’est qu’après s’être assurée auprès de Mélanie qu’il n’y avait pas besoin de se couvrir au Pakistan qu’elle retirera son voile, le lendemain. Nous prenons place dans deux tuk-tuk et sommes escortés par pas moins de sept policiers armes aux poings et doigts sur la gâchette. Nous patientons de longues heures en passant de bureau en bureau. Un homme se met à préparer du thé sur un réchaud par terre et nous en offre. Entre temps, nos amis de Quetta nous rejoignent pour jouer les intermédiaires. Ils sont toujours aussi désolés de ne pouvoir nous offrir leur hospitalité, nous sentons que ça compte vraiment pour eux. La veille, ils ont arpenté la ville pour obtenir l’autorisation de venir à l’hôtel mais tout était fermé. Ils s’inquiètent presque immédiatement après leur arrivée qu’on nous ait bien servi un thé.

Nous obtenons enfin le certificat. Par contre, nous n’avons pas le droit de voyager de nuit et devrons attendre le lendemain matin pour quitter la ville. Ça tombe bien, il est maintenant temps essayer d’obtenir l’autorisation que nos amis viennent diner le soir-même à l’hôtel avant notre départ, ce serait tellement dommage de n’avoir fait que les croiser ! Nous sollicitons donc une entrevue avec le « big boss ». Méfiant au début, nous réussissons à nous attirer sa sympathie lorsqu’il nous dit avoir visité il y a peu la côte d’azur et aimer la France. Bingo, après de longues secondes à tenir son stylo en l’air, il apposera finalement sa signature.

Requinqués par ces bonnes nouvelles, nous regagnons l’hôtel pour faire nos sacs en vue du lendemain. Cette fois-ci, le trajet ça sera directement sur les motos des policiers de la brigade anti-terroriste : peaux de moutons sur la selle, tatouages de tête de mort sur les avant-bras, bandanas sur la tête et bien sûr armes en bandoulière. Encore une fois, notre ami Naeem nous est d’une aide précieuse puisque pendant que nous étions dans les bureaux de l’administration, il s’est chargé d’aller nous acheter les tickets de bus pour le départ. Alors qu’il attendait notre retour à l’hôtel, deux agents du renseignement sont venus le chercher pour l’interroger. Décidément, notre présence intrigue.

 

En attendant nos amis motards pour le dîner, Naeem et son frère viennent dans notre chambre pour discuter. Soudain, on frappe à la porte. Un des employés de l’hôtel, un homme à la longue barbe, s’adresse en ourdou à Naeem qui lui répond sèchement en haussant le ton et lui ferme presque la porte au nez. Devant notre air interrogateur, il nous traduit ensuite la discussion. L’homme était venu le dissuader de rester avec nous dans notre chambre et de manger avec nous, car nous n’étions pas musulmans… Très surpris par cette intrusion, nous retrouvons vite le sourire lorsque nos amis arrivent pour le dîner, les bras chargés de nourriture. Ils nous ont préparé un plat traditionnel du Baloutchistan et nous offrent des habits traditionnels baloutches. Nous sommes très touchés de ces délicates attentions.

 

Après leur départ, notre ami formateur nous fait signe de le rejoindre à sa table. Il a commandé un repas spécial à partager avec nous pour notre dernière soirée : du mouton et des chapatis. Allez hop, nous prenons un deuxième dîner ! Nous aurons passé une excellente dernière soirée.

Jour 7 : Iran nous voilà ! Enfin, presque…

 

Cette fois ça y est, c’est le jour J. De bon matin, notre escorte policière nous conduit à la gare routière où nous prenons place dans le bus qui doit nous amener à Taftan, dernière ville avant l’Iran. Nous espérons pouvoir franchir la frontière le soir-même, mais la progression du bus, déjà lente, est stoppée à chaque poste de police pour la vérification de nos passeports. Cette fois, on ne peut pas se cacher, ils sont au courant de notre passage. De toute façon, la route est déserte, il y a fort à parier qu’en temps normal le bus soit tout de même obligé de s’arrêter pour un rapide contrôle. A mi-parcours, en plein milieu du désert, la situation se complique car il semble qu’il y ait eu un loupé : les policiers n’ont pas été avertis de notre arrivée et ne sont pas en mesure de sécuriser notre passage. Notre chauffeur tente d’argumenter. Nous avons peur qu’ils nous renvoient à Quetta. Nous en profitons pour sortir nous dégourdir les jambes et l’instant d’après, un policier interpelle Vincent :

« Dites à votre femme de remonter dans le bus.

 - Pourquoi ?

- Raisons de sécurité. »

Après une heure d’attente, nous pouvons repartir. Lorsque nous arrivons enfin à Taftan, il fait nuit et la frontière est fermée depuis longtemps. Nous sommes escortés au poste de police pour y passer la nuit. L’endroit n’est guère reluisant. Dans la cour de l’établissement, une cinquantaine d’hommes sont parqués, assis par terre. Il s’agit de pakistanais ayant tenté de traverser illégalement la frontière vers l’Iran. Ils viennent d’être renvoyés dans leur pays et sont détenus pour quelques heures. Dans l’une des geôles, derrière les barreaux, un homme est pieds nus, chevilles entravées ! Pas de cachot pour nous mais une petite pièce avec des tapis au sol. Comme nous n’avons pas eu l’occasion d’aller acheter à manger, il faut insister pour qu’on nous serve un maigre repas : un dahl à l’eau et un chapati tout sec pour deux. Mélanie préfère s’abstenir. 

Jour 8 : Arrivée en Iran

 

Le lendemain, les migrants sont partis. Seuls restent quelques prisonniers en cellule. A l’un d’eux, le gardien jette au sol un balai pour qu’il nettoie la cour. Après tous ces événements, c’est peu dire que nous sommes contents de sortir du pays. Il faut d’ailleurs batailler ferme pour convaincre le policier de nous laisser parcourir seuls les cinq cents mètres qui séparent le poste de police de la frontière, pour ne pas avoir à attendre une escorte qui arrivera on ne sait quand.

Le passage de la frontière n’est qu’une étape avant que nous puissions vraiment souffler, il faut encore nous rendre à Zahedan, ville située cent kilomètres plus loin, où nous sommes attendus par un dentiste iranien rencontré via le site Couchsurfing. Il est prévu que nous allions ensemble assister aux célébrations d’Ashura, grande fête religieuse pour les Chiites (majoritaires en Iran, contrairement au Pakistan à dominance Sunnite). Il nous a même déjà proposé par message de nous changer de l’argent. Le ton est donné par le premier policier rencontré dès notre entrée en Iran, alors que nous ne sommes même pas encore entrés dans le bâtiment d’immigration, à l’adresse de Mélanie : « You must wear the scarf » (« Vous devez porter le voile »). Certes, nous sommes au courant, mais ça parait vraiment absurde alors qu’au Pakistan, pays plus rigoureux religieusement, nous n’avons eu aucune remarque en trois semaines.

C’est peu dire que la pression accumulée ces derniers jours ne descend pas quand le responsable du poste frontière nous annonce qu’il faut attendre une escorte policière pour pouvoir quitter la zone frontalière. Nous espérons que ce sera plus rapide qu’au Pakistan… Nous faisons les cents pas à l’immigration quand nous rencontrons un pakistanais au passeport équatorien, lui aussi prié d’attendre le temps que l’on examine son cas. Cet homme aux 5 enfants a décidé de quitter il y a plusieurs années le Pakistan dans l’espoir d’une vie meilleure en Equateur. Il nous explique être mal vu par la police lorsqu’il retourne au Pakistan. La dernière fois, en arrivant à l’aéroport d’Islamabad, on lui a réclamé un pot-de-vin de cinquante dollars. Lorsqu’il a voulu protester, un responsable lui a dit que pour déposer plainte il fallait payer cent dollars…

 

Nous quittons enfin la frontière, contraints de payer un taxi à un prix gonflé sans pouvoir négocier, escortés par des militaires en pick-up. 

Nous arrivons enfin à Zahedan, où nous attend Ahmad, chez qui nous avons initialement prévu de passer la nuit. Faute du retard pris pour sortir du Pakistan, nous décidons de prendre directement un train en direction de Yazd. Ahmad nous fait quand même la gentillesse de nous accueillir chez lui et nous aide à réserver les billets de train. Lorsque nous arrivons à son domicile, nous le trouvons en tenue de dentiste avec deux amis à lui en train de fumer de l’opium, comme si de rien n’était. Nous déclinons gentiment son offre de les rejoindre… Nous avons du mal à en croire nos yeux ! Ahmad nous explique que bien qu’interdit, l’usage de l’opium reste fréquent dans cette région d’Iran, frontalière avec l’Afghanistan. Il nous apprend par ailleurs que Zahedan est l’une des villes les plus dangereuses d’Iran et le théâtre d’activités de contrebande. 

Avant de rejoindre la gare pour prendre le train, il nous faut changer de l’argent et faire quelques courses. Mais c’est jour de fête dans le pays, tout ou presque est fermé. Notre hôte nous propose une seconde fois de nous changer des dollars en rials, au taux que nous avons trouvé sur internet, ça nous arrange bien.

 

Il est déjà l’heure de rejoindre la gare. Cette fois c’est Vincent qui se fait reprendre par la sécurité : impossible de pénétrer dans la gare en short. Ensuite c’est Mélanie, en t-shirt, qui se fera littéralement draper les bras dans son voile par une femme de la sécurité. Plus tard, dans le wagon restaurant, face à Mélanie s’agaçant de tout le temps devoir replacer son voile qui tombe, ce qui la gêne pour diner, un responsable du train déclare à la cantonade avec un sourire résigné : « Freedom : zero » (« Liberté : zéro »). En effet, on avançait vers l’Europe mais on reculait en termes de liberté…

Il nous aura ainsi fallu huit jours entiers pour passer du Pakistan à l’Iran. Ces huit journées sont à l’opposé d’un programme touristique de rêve puisque nous n’avons rien visité, nous avons beaucoup attendu, nous avons souvent été contrariés et nous n’avons pas été libres. Et pourtant, nous nous sommes sentis tels des voyageurs emportés dans l’aventure, ce qui était exactement ce que nous recherchions à ce stade du voyage.