Pakistan : deux jours à Fairy Meadows avec Dupont et Dupond (2/3)

 

Du 28 août au 18 septembre 2018.

Après une semaine dans la vallée d’Hunza à Pasu, nous avons pris la route du sud en direction du neuvième sommet le plus haut du monde : le Nanga Parbat perché à 8125 mètres. Dissipons tout de suite le doute, il n’était nullement question de jouer aux alpinistes. Nous avions simplement prévu de randonner jusqu’au camp de base (3990 m) depuis la Prairie des Fées (Fairy Meadows) afin de jouir d’une vue rapprochée sur le géant himalayen.

Il nous aura fallu toute la journée pour parcourir les deux cents kilomètres de route depuis Pasu : plusieurs heures de stop jusqu’à Gilgit et une poignée d’autres en minibus pour arriver en bas d’un chemin carrossable à flan de montagne. De là, il restait douze kilomètres pour atteindre notre destination pour la nuit, à encore deux heures de randonnée à pied de Fairy Meadows. Vu l’état de la route, seules la marche ou la jeep étaient envisageables pour ce dernier tronçon. Puisque l’heure était tardive et fatigués après une journée dans les transports, nous avons tout de suite exclu la première option. Une armée de chauffeurs attendait à la jonction, leurs jeeps garées les unes derrière les autres. Il restait à discuter du prix que nous savions élevé. Rapidement, un grand barbu nous a mis au parfum : c’était 7 600 roupies le trajet aller-retour (soit 63 euros), non négociable. Le prix était défini par le gouvernement, ben voyons. La jeep pouvait accueillir cinq personnes mais nous étions les seuls touristes, impossible donc de diviser le coût. Nous avons également tenté de ne payer que l’aller pour partager la jeep du retour avec d’autres touristes que nous pourrions rencontrer sur place mais alors il fallait débourser 5200 roupies, ce qui correspondait à plus de la moitié de la somme totale. Si nous ne trouvions pas de voyageurs avec qui partager la jeep du retour, nous allions être perdants. Nous avons fini par accepter car il était 17h45, la nuit tombait et les jeeps n’étaient autorisées à partir que jusqu’à 18h. Ah oui, nous avons oublié de préciser qu’en tant que touriste, il était interdit de monter à Fairy Meadow sans escorte policière. Il y a quelques années, un autre camp de base du Nanga Parbat avait fait l’objet d’une attaque terroriste par les Talibans et un groupe de touristes avait été tué pendant la nuit. Il s’agissait à priori d’une demande des ambassades étrangères qui souhaitaient que le Pakistan s’assure de la sécurité des ressortissants étrangers dans certaines zones. C’est donc flanqués non pas d’un, mais de deux policiers que nous sommes montés dans la jeep pour entamer les 90 minutes de trajet. Nous avons d’autant plus eu l’impression d’être pris pour des pigeons qu’un vieil homme s’est embarqué avec nous dans la voiture que nous avions « privatisée », un habitant du village où nous allions. Il n’avait par l’intention de payer sa part du tarif exorbitant pratiqué par cette mafia des chauffeurs. Il était bien entendu difficile de lui dire de descendre et d’attendre le prochain convoi mais la pratique nous a révolté un peu, d’autant que nous avions passé un moment à essayer de négocier le prix et qu’il était monté avec nous comme si de rien n’était. Il a rapidement fait nuit et c’étaient les mains moites que nous nous concentrions sur l’étroite route à flanc de montagne. Même si nous n’y comprenions rien, les discussions des policiers et du villageois à l’arrière nous aidaient à nous distraire. A un moment, le silence s’est fait à l’approche d’un virage compliqué tant la route était étroite et le virage serré. A quelques centimètres, c’était le vide ! Ce n’était pas plus mal de faire le chemin de nuit… Nous sommes finalement arrivés à bon port et avons rejoint à pied un hébergement pour la nuit dans le noir total par un chemin escarpé.

Après une nuit de repos bien mérité, nous avons attaqué les deux heures de randonnée qui nous séparaient encore de la prairie des fées. Il a fallu au préalable nous enregistrer auprès du poste de police local, plutôt spartiate… La démarche effectuée, nous avons entamé la marche d’un bon pas. Il n’y avait que cinq kilomètres à parcourir avec sept cents mètres de dénivelé, mais il nous a rapidement fallu ralentir le rythme car à l’arrière les deux policiers avaient du mal à suivre. Leurs bagages se résumaient à deux kalachnikovs de 7 kg chacune et pour l’un d’eux une sacoche contenant cent balles supplémentaires (on ne sait jamais). Nos deux acolytes, qui ont vite gagné leurs affectueux surnoms de Dupont et Dupond, ne semblaient pas habitués à l’effort physique. Au bout de 15 minutes de marche, il fallait déjà faire une pause. Cela nous a d’abord agacés puis nous avons pris le parti d’en rire et nous nous sommes adaptés à eux, nous n’étions pas pressés après tout. 

Trois heures de marche et cinq pauses boissons/photos plus tard, nous sommes finalement arrivés pour le déjeuner. La météo clémente nous permettait de profiter d’une vue dégagée sur le Nanga Parbat, au loin. Il était trop tard pour faire l’aller-retour pour le camp de base, nous avons donc décidé de passer la fin de journée sur place, à profiter de la vue. Le lieu comptait quelques hébergements avec vue sur le sommet mais la plupart était sans. Quitte à être là, autant avoir un beau panorama depuis la terrasse du chalet, où nous comptions nous reposer et lire ! Nous nous sommes dirigés vers le meilleur hébergement de la prairie pour nous renseigner sur les prix. Un homme d’une trentaine d’années s’est présenté comme le propriétaire et nous a déclaré que les tarifs variaient en fonction des chalets mais que le premier prix était de 5000 roupies (42 euros), sachant que dans un autre hébergement sans vue où nous nous étions informés auparavant, le chalet était à 3000 roupies la nuit. Voyant notre regard embarrassé, il a enchaîné calmement :

Lui : « Dites-moi combien vous souhaitez payer. »

Nous, timidement : « Nous avions un budget de 3 500 roupies… »

Lui, sans broncher : « Non, je vous offre encore 500 roupies de réduction, et vous

laisse le chalet pour 3 000 roupies la nuit. »

 

Interloqués par cette réponse de gérant au grand cœur, nous avons finalement compris qu’il avait plaisir à nous offrir cette réduction, nos tenues de voyageurs en sac-à-dos laissant aussi paraître nos moyens limités. En fin d’après-midi, il nous a invités à le rejoindre lui, son neveu et des amis pour le dîner. Nous avons passé la soirée à discuter. Alors que nous échangions depuis plusieurs heures et jugeant l'occasion opportune, Vincent en a profité pour leur demander ce qu'ils pensaient de la théorie du Big Bang. Affalés sur des coussins, neveu et amis se sont soudainement redressés et on tourné leur regard vers l'oncle. Un silence s'est installé dans la salle et nous avons compris qu'il revenait au plus âgé de prendre le parole. Dans un anglais quasi parfait, il a étudié à l'étranger, le trentenaire a repris les grandes lignes de cette théorie qu'il connaissait mais qu'il a réfuté en tous points. A la place, il nous a exposé la vision religieuse de l'origine du monde. Un débat vif, mais respectueux des opinions de chacun s'est ensuite engagé dans le prolongement de la question initiale. Nos amis du jour iront même jusqu'à nous dire ne pas croire un seul instant que l'homme ait pu poser le pied sur la lune. Selon eux, une pure invention de la NASA. Personne n'arrivera à convaincre l'autre. Ce n'était d'ailleurs pas le but. La soirée s'est terminée et nous avons regagné notre chambre, étonnés de constater autant de différences dans notre vision du monde, mais satisfaits d'avoir pu recueillir le point de vue de jeunes pakistanais. Il est  évident  que nous n'aurions pas abordé ce sujet,  si sensible, avec n'importe qui. Quelques jours plus tôt, à Lahore, nous avions montré à Ahsan la vidéo, malheureusement désormais célèbre, d'un égyptien invité à la télévision puis expulsé du plateau et accusé de maladie mentale car expliquant être athée et n'avoir aucune preuve scientifique de l'existence de dieu. Notre ami nous avait dit, fataliste, qu'au Pakistan jamais une telle intervention télévisée n'aurait  été possible. L'incroyant aurait été tué avant même de prendre  la parole  à la télévision...

 

 

Le lendemain, nous avons entamé notre marche vers le camp de base, avec Dupont et Dupond sur les talons. Le contact avec les deux policiers était très cordial, ils étaient chaleureux et très prévenants à notre égard, s’inquiétant même du poids du sac-à-dos de Mélanie. La bonhomie de ces deux personnages vivants dans un pays en développement avait de quoi laisser songeur les européens moyens que nous étions. Le sourire en permanence aux lèvres, ils nous croyaient littéralement souffrants lorsque nous arborions notre moue habituelle d’occidental. Alors que nous cheminions sur une pente douce, l’un des policiers nous a demandé pourquoi nous ne sourions pas. Interloqués par cette question, nous ne savions que répondre. Le policier a enchaîné : « Tu dois toujours sourire ». Cette phrase restera gravée dans nos mémoires.

 

Le contact était si bon que Vincent rêvait de demander d’essayer ou tout du moins de tenir la kalachnikov le temps d’une photo.

 

Arrivés au camp de base, nous avons passé les heures qui ont suivi à observer les lieux : par chance, la vue était dégagée et les 8 125 mètres du Nanga Parbat s’offraient à nous.

Quatre heures plus tard, il fallait redescendre car nous n’avions pas prévu de dormir sur place. Nos deux policiers, fatigués, ne souhaitaient pas faire le retour le jour-même, contrairement à un autre policier accompagnant un groupe de touristes japonais. A notre grand regret, c’est donc ce dernier qui s’est chargé de nous escorter pour la descente alors que Dupont et Dupond sont restés avec le groupe qui devait redescendre le lendemain. Nous apprendrons plus tard dans la soirée que si nous étions restés dormir au camp de base, le policier nous aurait laissé essayer la kalachnikov…

  

Notre nouveau garde du corps n’était lui pas un drôle. En mission depuis 15 jours au Nanga Parbat, il avait hâte de retrouver la civilisation. C’était à grandes enjambées qu’il dévalait la montagne, alors que nous voulions profiter et prendre le temps. Notre acolyte avait cependant un pêché mignon : il aimait les défis. Après l’avoir vu s’arrêter une première fois pour lancer, avec succès, un caillou dans une retenue d’eau située à plusieurs dizaines de mètres en contrebas, nous lui avons montré un autre point d’eau situé cette fois bien plus loin. Loin de se démonter, il a posé la kalash à terre et multiplié les lancés de cailloux. Après une quinzaine de tentatives ratées sous nos yeux incrédules, il a du se résoudre à abandonner à cause d’une douleur à l’épaule. La police pakistanaise n’avait vraiment rien à voir avec la police française ! Nous avons repris notre marche avant de découvrir que notre accompagnant était également chanteur à ses heures perdues. Il n’a pas été difficile de le motiver pour une chanson. Un peu sceptiques au début, nous sommes finalement étonnés par sa voix si belle. Décidément, le Pakistan nous réservait bien des surprises…