Du 11 au 28 juillet 2018.
Les deux pieds dans l’eau
Si bien souvent c’était Vincent qui se mettait à rêver et refilait le virus à Mélanie, cette fois, ça a été l’inverse. Pour l’Indonésie, Mélanie rêvait d’ascension de volcans fumants, d’une randonnée de plusieurs jours dans la jungle pour prendre sa revanche sur celle manquée en Malaisie, d’une croisière de quelques jours sur un bateau entre îlots et eaux turquoise (eh oui on ne se refuse rien, pourquoi devrait-on d’ailleurs ?) mais surtout… d’aller rencontrer les Bajaus, peuple musulman de pêcheurs, anciens nomades des mers. Il y a quelques années, quand Mélanie avait vu l’émission Rendez-vous en terres inconnues avec Marianne James chez les Bajaus, elle avait alors été scotchée de voir comment vivaient les habitants du village visité par la personnalité française : dans des maisons en bois sur pilotis, au-dessus de l'eau. Mais attention, ces pêcheurs avaient bien les deux pieds sur l'eau, puisqu'ils ne vivaient pas le long de la côte, ce serait trop facile, mais au beau milieu de la mer, sur un atoll, l'île la plus proche se trouvant à plus d’une heure de bateau ! En partant en voyage, Mélanie avait bien retenu que ce village se situait dans un archipel au Sulawesi, en Indonésie. Mais elle n’en avait pas parlé tout de suite à Vincent, rien ne pressait et des mois de voyage étaient à organiser puis à vivre avant. En cours de séjour en Indonésie, quand elle lui a décrit son envie, son rêve est devenu le sien.
Un choix à faire
« Le renoncement n’enlève rien ; il donne. Il donne la grandeur de ce qui est simple. » Heidegger
Les volcans fumants ont ainsi été visités à Java, la croisière en bateau a été effectuée à Flores et après plus d’un mois de voyage en Indonésie, nous sommes arrivés au Sulawesi. Notre premier arrêt a été dans le pays Toraja, séjour mémorable où nous avons découvert leurs rites funéraires très… sanglants. Il restait ensuite un peu plus de deux semaines devant nous et des envies de jungle et de Bajaus qui subsistaient. Au vu des temps de trajet en Indonésie, nous avons rapidement compris qu’il fallait faire un choix. Déjà, nous ne pouvions renoncer à aller rencontrer les pêcheurs bajaus, envie ancrée depuis plusieurs années. Et si nous voulions absolument combiner cette visite à un trek dans la jungle, nous ne pouvions espérer plus qu’une petite randonnée de deux jours car pour s’enfoncer davantage dans la végétation, il fallait plus de temps. Après la semaine passée en Malaisie, nous n’aurions pas été satisfaits avec cette balade. Concernant le village sur l'eau, l'archipel se trouvait dans une région très peu touristique, nous savions donc que nous mettrions du temps pour parvenir à le localiser (ou un de ses cousins s'il en avait) puis pour nous y rendre. Avec un petit pincement au cœur, nous avons donc choisi de nous concentrer sur les Bajaus. Et heureusement que nous nous sommes focalisés dessus, car il a fallu y mettre du sien !
Identifier le village sur l’eau, une recherche de longue haleine… Et même de très longue haleine !
Avec l’émission télé, nous avions pu identifier l’archipel du Sulawesi où se situait le village. Bien évidemment, nous avons commencé par contacter l'équipe pour en savoir plus, mais ils gardaient l’anonymat du village pour qu'il ne soit pas envahi de visiteurs.
À part cela, Vincent avait déniché une unique autre piste sur un forum sur internet concernant l'archipel en ligne de mire. Il s’agissait d’un post de plusieurs années. Il donnait le contact d’un indonésien résidant sur la grosse île B., Monsieur S., qui redirigeait les visiteurs à son beau-frère habitant la plus petite île K., un dénommé Papa S. (par politesse, les Indonésiens ajoutent un mot devant le nom ou prénom de leur interlocuteur). Il fallait passer par Monsieur S. car sur l’île K. il n’y avait pas de réseau mobile et encore moins internet. Peut-être cela avait-il changé avec les années mais nous n’avons pas trouvé d’autres informations sur Papa S. de toute façon. Celui-ci accueillait les touristes en pension complète et leur servait de guide dans les îles. C’était tout ce que nous avions de concret à nous mettre sous la dent à propos de l’archipel. Le tourisme n’y était vraiment pas développé, et tant mieux ! Nous espérions que Monsieur S. ou son beau-frère connaîtraient un village bajau comme celui de l’émission. Au pire, nous aurions une solution de repli en séjournant là-bas. Nous avons donc tenté de joindre ce Monsieur S. à plusieurs reprises mais un message en bahasa indonésien se faisait entendre. Le numéro de téléphone ne devait plus être bon...
Dès que nous avons posé le pied au Sulawesi, nous avons commencé à questionner les locaux rencontrés à propos du village mystère. Nous nous sommes rapidement rendu compte que leur périmètre de visite était assez réduit et qu’il fallait se rapprocher de l’archipel pour obtenir des informations.
Nous avons ainsi rejoint la dernière grosse ville du Sulawesi, de laquelle on accédait à l’archipel en bateau. Nous avons dû opter pour un vol aérien pour nous y rendre car il nous aurait fallu trois jours de trajet pour atteindre la ville ! Sans que nous le sachions, l’agence de voyage nous avait vendu des tickets de classe affaire… Ce n’est pas que nous n’avons pas apprécié le petit goûter à bord ou les sièges larges et confortables mais nous comptions profiter du trajet pour engager la conversation avec nos voisins et glaner des informations sur les Bajaus…
Il nous fallait maintenant trouver un intermédiaire anglophone pour nous mettre en contact avec quelqu'un qui en saurait plus. Pour nous aider dans notre recherche, nous avions pris soin de télécharger la vidéo de l’émission en indonésien pour montrer ledit village au milieu de l’eau. Une fois les sacs posés à l'hôtel, nous sommes sortis pour nous procurer un dictionnaire anglais – indonésien, anticipant l’absence d’électricité comme il n’était pas rare dans les villages reculés et à fortiori au milieu de l’eau. En marchant dans la rue, nous devenions progressivement le centre de l’attention générale : en voyant notre peau blanche, tout le monde nous dévisageait en gloussant et les « Hello Mister ! » fusaient. Nous n'allions pas revoir de touriste occidental avant un bon moment…
Par chance, la gérante du magasin qu’on nous avait indiqué parlait un peu anglais, nous avons sauté sur l’occasion. Elle s’est mise à discuter avec son entourage : employés, membres de sa famille (qui travaillaient avec elle) et clients. C’était amusant de voir comment rapidement, tout le monde s’animait autour de notre demande tandis que nous devenions totalement passifs, ne comprenant rien à ce qui se disait et attendant une réponse. Nous adressions une simple phrase en anglais à la gérante du magasin et cela rebondissait d’une personne à l’autre, en bahasa, pendant un bon moment, et ce à chaque fois ! Et parfois, cela ne répondait pas à ce que nous avions demandé… Pfou ! Après plusieurs minutes, elle nous a dit qu’elle ne connaissait pas ce village ou d’ailleurs de Bajaus tout court, l’archipel étant loin d’ici. En insistant un peu, elle nous a indiqué qu’elle connaissait quelqu’un qui pourrait peut-être nous aider, un dénommé Valentino, qui parlait anglais et travaillait avec les rares bule se présentant dans le coin (prononcer « boulé » signifiant touriste en bahasa, les gens s’écrient « Bule, bule ! » quand ils voient des occidentaux). Elle a tenté de l’appeler à plusieurs reprises avant qu’elle et son mari se décident à nous conduire directement à son domicile. Mais pas de chance, il n’y était pas.
Alors que nous commencions à être à court d'idées, Valentino est arrivé en voiture. Ayant fait des études en Europe, il parlait un anglais impeccable et a tout de suite compris ce que nous recherchions. Il nous a appris qu’il travaillait pour le département du tourisme qui avait des bureaux ici et qu’il allait nous aider. Il nous a proposé de nous retrouver le soir à notre hôtel, lui laissant un peu de temps pour se renseigner. Tout se débloquait, enfin !
Le soir, Valentino s’est présenté avec un de ses amis, Bajau, habitant un village sur pilotis à distance des côtes d’une île de l’archipel, la même île que celle de Papa S. du forum, l’île K. Ҫa commençait à sentir bon cette affaire ! Nous avons en fait très vite déchanté. L’ami de Valentino nous a expliqué qu’à cette période de l’année, les vents sont forts et la mer est agitée si bien que les habitants du village sont partis s’installer pour plusieurs semaines sur les îles autour. Nous qui avions retenu que les meilleurs mois pour visiter le pays étaient juillet et août… D’ailleurs, c’est la pleine saison et nous avions appris que les hôtels affichaient complets ou presque sur un autre archipel très touristique juste à côté ! Il nous a fallu un peu de temps pour nous remettre de cette nouvelle et la soirée a été tristounette.
Le lendemain, ragaillardis, nous avons décidé de nous rendre aux bureaux du tourisme indiqués par Valentino, lui-même absent pour la journée. Nous voulions avoir un second avis concernant la météo de la région avant de tirer un trait sur les Bajaus. Nous avons été reçus par une demi-douzaine d’employés qui nous tournait autour et nous prenait en photo (en mode selfie bien entendu, nous sommes au XXIème siècle et en Asie !). Leur chef n’était pas là, parti en intervention. Il devait rentrer en début d’après-midi. Les employés ont quand même essayé de nous aider (pendant plus de deux heures !), après quoi nous avons décidé de faire une pause déjeuner (comme au travail dites donc !) et de revenir vers treize heures, heure à laquelle le patron devrait être rentré. Mais à notre retour, il n’était toujours pas là. En fait, nous avons eu mieux car il y avait une réunion l’après-midi-même dans les bureaux concernant le développement du tourisme dans la région. Deux personnes se sont alors présentées à nous, ils voulaient nous venir en aide : le président directeur d’un tour-opérateur qui avaient plusieurs agences en Indonésie et qui était recruté par le gouvernement pour son expertise en tourisme, ainsi que la personne en charge du tourisme de l’hôtel quatre étoiles de la ville (nous rendre à cet hôtel était notre prochaine idée). Anglophones, leur professionnalisme nous a changé ! Ils ne connaissaient pas le village car ce n’était pas le même département mais ils passaient coups de téléphone sur coups de téléphone pour tenter de répondre à nos questions, notamment à propos de la météo. Ils ont carrément contacté le maire de la grosse île de l'archipel, puis l’armée ! En effet, sur l’île Y, il n’y avait pas de signal, sauf en passant par l’armée qui avait un réseau plus puissant. Nous avons obtenu les mêmes réponses, c’est-à-dire que ce n'était pas la bonne saison et que nous risquions de rester coincés sur l’île à cause du vent et des vagues. Ils nous ont alors proposé de nous rendre plutôt dans les lieux touristiques de leur région mais nous n'arrivions toujours pas à oublier le village de pêcheurs. Nous commencions à envisager d’emmener un guide qui nous servirait en fait d'interprète et de tracer notre route. Alors que nous nous informions sur les tarifs d’un guide, on nous en a en fait appelé un pour qu’il vienne directement nous renseigner.
Nous avons ainsi rencontré Yudi, la trentaine, professeur d’anglais auprès d’hôtesses de l'air et de steward pour une compagnie aérienne. Quel personnage ! Il nous avait à peine salués calmement que son excitation débordait déjà : « Oh my God ! ». Il était très émotif et adorait rencontrer et fréquenter des touristes occidentaux. Il n'arrivait pas à s’en remettre d’être là : « Je veux tellement vous aider ! S'il vous plait, laissez-moi vous aider ! ». Nous qui en étions encore au stade de prise d’informations, nous avons été pris de court : « Alors, vous voulez que je sois votre guide là-bas ? ». Visiblement le mot « renseignement » n’avait pas été prononcé dans la conversation téléphonique… Il avait déjà été sur l'île de Monsieur A car il y avait de la famille, mais pas sur l’île de Papa B. Il nous assurait qu'il nous aiderait à trouver les informations sur place. Il ne voulait même pas recevoir de rémunération !
Là-dessus, une de ses connaissances est arrivée et a appelé un autre guide qui lui s’était déjà rendu sur l’île Y. On avançait à petits pas. Le deuxième guide nous a ainsi permis de localiser le village de Papa B sur l’île Y, et surprise : il connaissait même le nom du village de l'émission ! Enfin, nous obtenions des réponses ! C’était le village Z, qui n'était pas celui indiqué la veille au soir par l'ami de Valentino. Ce village se trouvait bien au large de l'île Y, mais lui-même ne s’y était jamais rendu.
Ni une ni deux, nous avons proposé à Yudi de partir le soir-même - soit dans quatre heures - par le bateau de nuit pour la grosse île. Il y avait un bateau pour l'île Y directement, plus petit, mais ils avaient réussi à nous faire douter des conditions météorologiques et nous avons opté pour le bateau le plus gros. Nous ne savions pas pour combien de jours nous partions. Heureusement, Yudi avait des conditions de travail souples et a accepté de nous suivre.
Nous ne savions pas si Papa B en saurait plus concernant le village bajau de l’émission (ou un autre similaire) mais nous avions utilisé toutes nos cartouches ici, il était temps de bouger, de se rapprocher physiquement de l’objectif. Quant à la météo, nous avions l'impression de nous être déjà trop investis dans nos recherches pour laisser tomber maintenant. Tant que le capitaine du bateau pour le village ne nous refuserait pas lui-même de nous y conduire, il y avait de l’espoir !
Nous sommes donc partis pour l’île Y avec Yudi, en changeant de bateau sur la l'île X. La mer a été d’un calme plat et le temps au beau fixe. Sur le second bateau, nous avons engagé la conversation avec nos voisins…qui étaient Bajaus ! Ils connaissaient le village au milieu de l'eau et nous ont assuré qu'il y avait du monde qui y vivait en ce moment. A l’arrêt avant le nôtre, un homme est monté dans le bateau et s’est assis tranquillement à côté de Yudi, engageant la conversation. C’était Papa B lui-même ! En fait, le deuxième guide nous ayant renseignés en ville avait réussi à contacter Monsieur A qui avait appelé Papa B pour qu’il vienne nous chercher sur le bateau. Encore sur le bateau, il nous a confirmé qu'il connaissait le village Z. Enfin, nous apercevions le bout du tunnel !
Se rendre au village Z, toute une affaire !
Nous avons ainsi suivi Papa B, qui avait une maison d'hôtes sur l'île. Nous étions tellement contents d’être arrivés, d'autant que la météo était parfaite et que l’hébergement dépassait nos attentes ! En plus de ça, Papa B était très accueillant et nous proposait déjà une sortie snorkeling juste devant la maison pour le lendemain matin avec pêche pour le déjeuner.
Même si nous étions plus que bien avec Papa B qui accompagne ses invités tout le temps de leur séjour, nous ne perdions pas de vue le village Z de l'émission, situé à trois heures de bateau. Papa B nous répétait qu’il valait mieux venir en novembre ou décembre, qu’à cette période la mer était d’un calme plat et le temps ensoleillé. Nous trouvions déjà que c’était le cas maintenant. Il nous a expliqué qu’une fois, avec des touristes souhaitant également se rendre au village sur l'eau, ils avaient dû renoncer et faire demi-tour en bateau à cause des trop grosses vagues.
Il nous fallait maintenant trouver un bateau car celui de Papa B était trop petit donc instable avec les vagues en cette saison. D’habitude, il faisait appel à son voisin mais celui-ci était parti plusieurs jours pêcher, il fallait attendre qu’il rentre, sûrement le lendemain. C'était tellement confortable avec Papa B qui gérait nos activités que nous n'avons pas cherché plus loin. Nous avons tranquillement découvert le village et ses habitants, petits et grands.
Mais le jour d’après, le voisin n’était pas rentré. Il fallait trouver un autre bateau car nous n’allions pas l’attendre infiniment. A notre surprise, il n’y avait pas légion de bateaux de cette taille dans le village et Papa B ne connaissait qu’un seul autre propriétaire, Papa C. Il nous a mené chez lui pour discuter et l'affaire a en fait mis presque trois heures à se conclure ! La barrière de la langue, même avec Yudi, n’était pas facile à franchir. A chaque fois que celui-ci traduisait dans un sens ou dans un autre, il ajoutait une petite phrase d’introduction par politesse : « Papa C, le touriste Vincent demande : …», ce qui à la longue mettait notre patience à l’épreuve. Nous ne parlons même pas des fois où ça discutait en bahasa pendant plusieurs minutes alors que Yudi ne nous traduisait finalement qu’une petite phrase, qui ne répondait pas à notre question… Bref, la météo était bonne en ce moment et les vagues gérables à condition de partir tôt le matin car le vent était moins fort. Le départ a donc été fixé le lendemain matin.
A sept heures tapantes, nous et nos affaires étions sur la terrasse-embarcadère de Papa B, prêts à partir. Yudi nous a informés qu’il fallait patienter un peu car Papa C, notre capitaine, attendait sa femme pour partir. Pas de problème, nous n’étions pas à la pièce. Nous étant levés tôt, nous n’avons pas tardé à piquer du nez et avons été surpris de constater qu’il était plus de 8h30 à notre réveil ! Ça ne présageait rien de bon. Vincent s'est rendu chez Papa C pour voir ce qu’il se passait.
Il est revenu l’air dépité avec Yudi et Papa B. En fait, Papa C avait oublié que sa femme était partie dans un autre village de l’île et il n'y avait donc personne pour garder leur fils. Il ne savait pas quand elle rentrerait ! Papa B et Papa C nous demandaient simplement de patienter... Il était impossible pour nous d'attendre sans savoir, avec simplement l’espérance qu’elle rentre aujourd’hui, et qui plus est pas trop tard pour que nous puissions prendre le large ! Et si elle ne rentrait que demain ? Ou après-demain ? Et puis nous étions ébahis que Papa C ait pu oublier ce petit détail, et ce, jusqu’au matin même du départ ! Bon, il n’y avait qu’à appeler sa femme pour lui dire de rentrer au plus vite. Mais non, c’était impossible, car il n’y avait pas de réseau dans le village où elle s’était rendue. Bon, il n’y avait qu’à aller la chercher. Encore une fois impossible, Papa C ne pouvait pas laisser l’enfant seul pendant ce temps et si c’était l’un de nous qui y allait, il nous assurait qu'elle pourrait refuser de nous suivre car elle ne nous connaissait pas, même si nous venions de la part de son mari ! Pourtant, le village se situait à une quinzaine de kilomètres seulement ! Mais d'après eux, il fallait plus de deux heures pour s’y rendre en scooter car il s’agissait d'une piste et non pas d’une route bétonnée. Bon, Papa C pouvait bien laisser son enfant en garde à quelqu'un de confiance dans le village le temps que sa femme rentre. Eh bien non, car l’enfant pleurerait au départ de son père et serait malheureux. Depuis qu’il avait perdu son frère, ses parents ne le lâchaient pas. Nous commencions franchement à avoir l'impression qu'ils ne mettaient pas du leur… C’était le choc des cultures. Nous n’allions quand même pas rester là sans rien faire ! Et puis nous allions finir par être à court de liquidités puisqu'il n’y avait pas de distributeur de billets sur l’île. Nous avons même proposé en plaisantant (à moitié) d’emmener son fils avec nous en excursion. À la suite de toutes nos propositions qui ne faisaient pas mouche, nous avons décidé de nous rendre au village d'à côté, à la recherche d’un autre bateau. Sur place, nous avons rencontré deux propriétaires mais les deux nous proposaient des prix bien plus élevés, voire le tarif « bule » comme nous le nommions désormais entre nous (deux fois plus cher que Papa B.). Nous sommes donc rentrés au village de Papa B, bredouilles. Décidément, aller au village au milieu de l’eau, ça se méritait ! Pour nous changer les idées, Papa B a proposé de nous amener faire du snorkeling près d'une île au large.
Au retour, nous sommes retournés voir Papa C, résignés à attendre sa femme faute de mieux. On ne sait pas comment, il avait joint sa femme et il était prévu qu'elle rentre avec le bateau de l’après-midi. Hourra ! Yudi est quand même retourné vérifier plus tard dans l'après-midi… Nous pouvions partir le lendemain. Enfin, si la météo le permettait !
Victoire, le temps était magnifique à 6 heures du matin le lendemain. Alors que nous ouvrions notre porte pour profiter du lever de soleil, nous avons aperçu le bateau de Papa C se garer près de l’embarcadère de Papa B. Nous étions ainsi d’humeur excellente, notre persévérance avait payé, nous allions au village sur l’eau ! Que cela avait été compliqué quand même !
Le fameux village Z.
La mer s'est avérée parfaitement calme et nous avons même croisé des dauphins ! Après avoir confondu trois fois le profil de lointaines îles avec le village Z tant nous le guettions, nous l'avons enfin aperçu, tout petit. Nos efforts pour arriver à notre but rendaient notre arrivée d’autant plus excitante, nous étions émus.
Le village était en fait composé de deux parties et nous nous rendions dans celle où les maisons étaient reliées par des ponts, ce qui serait bien plus commode pour le visiter. A cette heure, bateaux et hommes étaient à la pêche, nous en croisions à mesure que nous nous approchions. Au loin, nous avons aperçu une femme et son bébé : c’était Mama Aldi, qui allait être notre cuisinière pour les trois prochains jours, et Saldi, dont Mélanie allait devenir la compagne de jeux favorite surnommée Tanta Prangis (tata de France).
Les occupants de ce curieux village habitaient en fait les îles alentours et vivaient par périodes au village Z, le temps de réunir une réserve satisfaisante de poissons séchés, qu’ils allaient ensuite vendre en gros en retournant dans leurs villages. Une fois la vente effectuée, ils revenaient au village Z pêcher et ainsi de suite, tout au long de l’année. Ce n’était donc pas un village uniquement de Bajaus, mais un mix de différentes populations. Il y avait peu de femmes et d’enfants sur place, ils étaient restés sur les îles, venant davantage quand la saison était meilleure.
Le premier défi a été de se familiariser avec les déplacements sur le sol grossièrement recouvert de lattes de bambous, cassées par endroits, bougeant ou craquant sous nos pieds… Quant aux ponts, ils étaient sommaires, et il y en avait un qui bougeait même avec les vagues ! Cela rendait en fait l'expérience d’autant plus sympathique. Et puis, si chute il y avait, ce n’était pas grave car puisque nous étions sur un atoll, il n’y avait qu’environ cinq mètres d’eau à marée haute et un peu plus d’un mètre à marée basse, avec peu de courant. Il n'y avait que quelques rares coraux autour du village mais c’était quand même amusant de se promener avec masques et tubas. Nous avons ainsi découvert deux tortues en captivité dans un bassin de filets sous une maison, gardées le temps qu’elles grossissent, destinées à être mangées ou à la vente… C’est illégal bien sûr car en voie de disparition, mais politiques et scientifiques influencent bien peu les décisions des pêcheurs dont les revenus modestes seront bien améliorés par ces rares prises.
D’un point de vue pratique, il ne fallait pas chercher de salle bain ni même de toilettes, mais des lattes avaient été découpées dans un coin des maisons… La porte de la maison fermée faisait office de signal et de verrou à la fois ! Les maisons étaient en bambous et en feuilles végétales avec des trous ici et là dans le toit, les murs et le sol. Quand ils en avaient besoin, les habitants allaient se fournir gratuitement en matériaux sur une île non habitée à deux heures de bateau, alors que les bambous de leurs villages étaient à vendre, sans parler des planches de bois, plus chères. Les maisons étaient simplement faites de quatre murs avec parfois des palissades pour créer plusieurs espaces. Il n’y avait pas de matelas, mais des bâches ou tapis pour empêcher le vent de rentrer par le sol. L’eau douce était précieuse, les occupants allaient se ravitailler à des puits sur l’île la plus proche, à un peu plus d’une heure de bateau. De même, chacun avait sa réserve de bois pour cuisiner. Le menu était simple : poissons cuisinés de différentes façons et riz. Au petit-déjeuner, nous avions le droit à des petits gâteaux sucrés frits. Chacun amenait en plus sa réserve de gâteaux, fruits et produits divers.
Entre pêche autour du village et préparation des poissons sur les avancées en bambous devant les maisons, nous n’avons pas tardé à nous fondre dans le quotidien de travail des pêcheurs. Ils utilisaient des petits bateaux très instables, c'est sans doute pourquoi ils étaient frileux à propos des vagues. Les techniques de pêche variaient : certains utilisaient des pièges tressés en bambou laissés au fond de l’eau et relevés tous les deux jours, alors que d'autres (la plupart) posaient et retiraient des filets de cinq cents mètres de long, à quelques heures d’intervalle, deux fois par jour par filet. Il y avait aussi ceux qui utilisaient le compresseur (une minorité), sorte de pompe qui envoie de l’air au plongeur par un tuyau, à plusieurs mètres de fond. Celui-ci peut ainsi prendre son temps pour chasser les poissons. Il y avait eu des accidents tragiques avec cette machine pour des pêcheurs qui plongeaient seuls ou trop profondément. Pour notre part, seul un groupe de jeunes l'ont utilisé de nuit pendant notre séjour, à plusieurs, en se relayant toutes les demies-heures. Ensuite, les poissons récoltés par ces différentes techniques étaient écaillés, vidés et ouverts en deux. Après une nuit à baigner dans de l’eau très salée, ils étaient disposés pour un séchage au soleil de trois jours environ. Ils rejoignaient ensuite le panier réserve qui se remplissait ainsi au fil des jours.
Nous sommes restés trois jours et trois nuits au village Z, sans poser les pieds sur le sol pour Mélanie. Inutile de vous dire que nos chaussures ne sont pas descendues du bateau de Papa C !
La dernière nuit, nous avons enfin compris ce qu’entendaient les gens du coin par mauvaise saison pour aller au village Z. Nous n’avons pas eu de véritable tempête mais le vent a bien soufflé toute la nuit et les bateaux secoués part les fortes vagues percutaient en rythme les maisons sur pilotis, nous tenant éveillés (pas à cause du bruit mais à cause du mouvement de la maison !). Nous nous sommes réveillés pour le levé du soleil (entre les nuages) et dès que celui-ci a pointé le bout de son nez, tout le monde était sur le pont pour déplacer les bateaux et les mettre dans le bon sens du courant, afin qu’ils arrêtent de secouer tout le village.
Le petit-déjeuner pris, il était temps de partir. Un arrêt sur une île était prévu sur le chemin du retour. Nous avions l’impression de quitter une grande famille. Nous avions encore vécu une merveilleuse expérience en Indonésie, décidément nous ne pouvions pas dire adieu à ce pays pour toujours, ni aux habitants du village Z. Les au revoir ont été chaleureux et émouvants, voire dramatiques pour le petit Saldi qui perdait sa copine.
Quant à l’île étape du retour, nous avons eu une trentaine de minutes pour admirer sa beauté et trois heures d’attente dessus pour réaliser que nous avions eu une chance folle avec la météo de ces derniers jours : tempêtes et averses diluviennes de la saison nous avaient rattrapés.
Encore un jour de pluie chez Papa B et nous nous sommes décidés à reprendre notre route direction Manado. Nous nous sommes arrêtés sur la route au village bajau, et à Tomohon afin d’aller admirer un dernier volcan, le volcan Lokon.
Au bout de 60 jours tout pile en Indonésie, il était temps de quitter le territoire pour l’Inde, pays tant excitant qu’effrayant.
Nous avons beaucoup hésité avant d'écrire et de publier cet article. Tout au long de notre voyage, nous avons pu constater l'influence des blogs de voyage sur la fréquentation d'un lieu. Afin de préserver l'authenticité de cet endroit, nous avons choisi de ne pas donner trop d'informations sur sa localisation, tout en partageant quand même notre expérience. Le voyageur motivé saura dénicher par lui-même les informations nécessaires.