Une semaine de méditation dans un monastère en Thaïlande (3/3)

 

Du 13 au 20 mars 2018

Quelques mois avant de partir en voyage, nous avons envisagé d’effectuer une retraite de méditation dans un pays d’Asie du sud-est. L’Asie étant le berceau du bouddhisme, on peut dire que c’était l’occasion de découvrir cet aspect de la religion et de vivre une expérience. Et puis, on entend de plus en plus parler de la méditation, hors du bouddhisme, comme ayant de nombreux bienfaits, études neuro-scientifiques à l’appui. En y regardant de plus près, cette retraite allait (peut-être) permettre de nous donner des outils pour apprendre à gérer nos sentiments face à des situations difficiles, en abandonnant nos vieilles habitudes conditionnées afin de voir la situation sous un autre angle, plus apaisant. La Thaïlande proposait beaucoup de centres ou de monastères pour effectuer de tels stages, c’est donc tout naturellement que nous y avons posé nos sacs une semaine de plus afin de vivre cette expérience.

La méditation, qu’est ce que c’est ?

 

La méditation est la pratique emblématique de la religion bouddhiste, même si elle se retrouve en fait dans plein d’autres religions. Dans le bouddhisme, cette pratique varie selon la tradition (tibétaine, mahayana, theravada, vajrayana, zen,…) et dans une même tradition, il existe différentes techniques (samatha, vipassana, ...). Nous n’expliquerons ainsi pas toutes les modalités de ces techniques très complexes et compliquées, et d’ailleurs nous ne les connaissons pas ! En Asie du sud-est donc en Thaïlande, la tradition bouddhique est le theravada.

 

Nous avons retenu une définition de la méditation bouddhique :

 

« La méditation est une méthode qui permet à celui qui la pratique de transformer sa vision de la réalité ou d’entrer en contact avec des parties de lui-même qu’il ne connaissait pas auparavant. »

 

Pour ceux à qui cette définition ferait peur, voici une explication plus approfondie qui écarte la méditation du fait de se faire un trip :

 

« La méditation est un moyen de se familiariser avec soi-même. En la pratiquant, vous allez connaître vos pensées, vos sensations, vos sentiments, vos comportements et vos attitudes bien mieux et bien plus intimement que vous n’auriez peut-être jamais osé l’imaginer. Certains instructeurs décrivent la méditation comme le processus qui consiste à se lier d’amitié avec soi-même. Au lieu de tourner votre attention vers l’extérieur, vers les autres personnes ou le monde extérieur, vous la dirigez vers l’intérieur, de retour sur vous-même. Il en résulte que des parties de votre cœur et de votre esprit auparavant peut-être sous-développées ou même complètement inconnues de vous deviennent progressivement – à travers ce processus répété de familiarisation – une partie naturelle de la personne que vous êtes et de ses rapports avec le monde. » Le Bouddhisme pour les nuls (il fallait bien commencer quelque part). 

 

Pour ce faire, la méditation se base sur l’établissement de l’attention, l’approfondissement de la concentration puis sur l’acquisition de la faculté de la vision profonde.

 

Méditer au monastère bouddhiste Wat Tam Wua Forest Monastery

 

Le choix du monastère

 

Etant novices en méditation, nous avons longtemps hésité sur le choix du lieu pour la retraite car tous ne proposent pas le même accompagnement ni les mêmes techniques. Nous voulions êtes certains de retirer quelque chose de cette expérience, c’est pourquoi nous étions tentés par certains monastères où le méditant avait chaque jour un entretien individuel avec un moine enseignant désigné mais à chaque fois. Ces retraites se faisaient dans le silence et nous n’étions pas convaincus que cet effort allait nous être bénéfique, au contraire. D’un point de vue pratique, il était recommandé pour des débutants de trouver un endroit calme, éloigné des grandes villes, où ils seraient moins déconcentrés par une pollution sonore. Concernant les techniques, nous n’avions aucune expérience ni aucune connaissance (ou presque), cela nous importait donc peu.

Nous avons ainsi choisi le Wat Tam Wua Forest Monastery, où il n’y avait pas de suivi individuel mais où une guidance pouvait être sollicitée (d’après leur site internet) et où le silence n’était pas de mise. Bien sûr, étant dans un monastère, les bavardages et les éclats de voix étaient à proscrire. Pour ceux qui désiraient rester tout de même silencieux, un badge « Silent and Happy » (littéralement « silencieux et heureux ») indiquait aux autres méditant qu’ils ne souhaitaient pas être abordés pour discuter. Avec le badge, il leur était quand même possible de parler aux moines ou aux laïcs volontaires qui faisaient tourner le centre, et ils pouvaient le retirer dès qu’ils le souhaitaient. Par ailleurs, d’un point de vue pratique, il n’y avait pas de date de début pour commencer sa retraite et il n’y avait pas besoin de réserver ou de prévenir, il suffisait juste de se présenter à l’accueil du monastère et c’était parti. Cela convenait parfaitement à notre planification de dernière minute. Quant aux techniques de méditation, les moines du Wat Tam Wua Forest Monastery se basaient tout d’abord sur le samata pour obtenir un esprit tranquille (concentré et attentif) puis sur le vipassana (censé développer la sagesse en voyant la vraie nature de la réalité), soit la méditation de la pleine conscience, qui s’ancre dans le présent. Cependant, les moines avaient l’air d’être plutôt souples car ils n’interdisaient pas la pratique d’autres techniques, tant qu’on ne perturbait pas leur enseignement ni le déroulement des sessions de méditation. Enfin, la localisation perdue du monastère entre Mae Hong Song et Pai, dans le nord-ouest de la Thaïlande était parfaite pour s’isoler. Le monastère avait été construit en fond de vallée entre des formations karstiques, des petites collines boisées et le long d’une petite rivière avec de petites cascades.

La vie en communauté

 

Tous les jours, il y avait beaucoup de départs et d’arrivées de personnes terminant ou commençant la retraite et le nombre de méditants oscillait toujours autour d’une petite centaine. Un grand nombre de nations étaient représentées, la plupart était des occidentaux, mais il y avait aussi des asiatiques (chinois, japonais) et bien entendu des thaïlandais, souvent en famille (les enfants avaient l’âge de jeunes adultes). La moyenne d’âge était plutôt jeune et le profil qui revenait souvent était le nôtre (celui de voyageurs entre 20 et 30 ans) ou de personnes expatriées vivant et travaillant en Thaïlande une grande partie de l’année. Les Russes et les Allemands étaient largement représentés, et nous avons été surpris qu’il n’y ait pas plus de français, vue la quantité que nous avions croisée depuis que nous étions en Thaïlande. 

Même si nous étions nombreux, le calme était toujours maître et quand nous rouvrions les yeux après les premières sessions de méditation, nous étions presque étonnés de trouver autant de monde autour de nous. Dans les autres moments, l’aspect communautaire était plutôt agréable, nous faisons les tâches ensemble, si nous avions besoin de calme, il nous suffisait de nous éloigner car le parc du monastère était vaste (et il y avait le badge « Silent and Happy ») et si nous voulions bavarder un peu, c’était plutôt facile car tout le monde semblait ici plus abordable, moins occupé, plus souriant. Nous avons ainsi trouvé les rapports plus respectueux, l’entraide et l’attention aux besoins des autres plus présentes.

Mélanie s'activant au ramassage des feuilles de l'immense parc du monastère.
Mélanie s'activant au ramassage des feuilles de l'immense parc du monastère.

Nous avons tout de même essayé une journée d’être « Silent and Happy ». Mélanie n’était pas très motivée car elle ne voyait pas franchement l’intérêt, les bavardages restants rares et toujours calmes, même entre nous deux. Vincent, lui, voulait essayer. Nous n’avons pas vraiment pris ça au sérieux en fait et avons communiqué par écrit, ce qui rendait l’expérience inutile, mais qui nous a bien amusés. Et le soir, alors que nous avions prévu de nous coucher toujours en silence, nous avons retiré nos badges et débriefé comme d’habitude sur les séances de méditations de la journée. Vincent a lu plus tard qu’en fait le Bouddha Shakyamuni (le premier à avoir été éveillé et qui a transmis son enseignement aux hommes, à l’origine du bouddhisme) n’a jamais incité à garder le silence. Cette pratique serait plutôt une dérive bouddhique d’occidentaux qui veulent se retrouver face à eux-mêmes. Cependant, cette pratique permet de se rendre compte de tout ce qu’on peut bavarder dans une journée ! Et en théorie, elle permet quand même de rester au calme entre les séances de méditation et concentré sur le moment présent. 

L’emploi du temps

La journée était bien rythmée et se calait sur le rythme de vie de la dizaine de moines vivant dans le monastère :

5h : réveil et méditation individuelle dans son logement.

6h30 : offrande de riz aux moines du monastère pour le petit-déjeuner

7h : petit-déjeuner (végétarien)

8h : session de méditation collective pendant deux heures

10h30 : offrande nourriture aux moines pour le déjeuner

11h : déjeuner (végétarien)

13h : session de méditation collective pendant deux heures

16h : tâches d’entretien du monastère et de rangement pendant une heure

18h : session de chants bouddhiques pendant quarante-cinq minutes

18h45 : session de méditation pendant quarante-cinq minutes

20h : méditation individuelle dans son logement

 

 

 

Le réveil tôt n’a absolument pas posé de problème, puisque nous étions fatigués plus tôt. Nous logions dans des dortoirs, bien entendu non mixtes. Après trois nuits, Mélanie a eu le privilège d’avoir son propre kuti avec sa propre salle de douche (et chaude, la douche), c’était le luxe ! Il y avait largement plus de kutis pour les femmes que les hommes donc Vincent n’y a pas eu droit, mais il a profité de la petite taille de son dortoir pour faire connaissance avec ses colocataires. 

Vous l’avez sûrement remarqué, il n’y avait que deux repas par jour, végétariens. Cette pratique faisait partie des préceptes que les moines bouddhistes respectaient et bien entendu, s’appliquait à toute personne hébergée dans le monastère. Evidemment, le petit-déjeuner servi n’était pas continental mais thaïlandais (riz, légumes, tofu, …). Tout cela ne nous a pas dérangés, nous mangions peut-être un peu plus copieusement le midi, et encore, comme nous n’étions pas très actifs dans la journée, nous n’avions pas très faim. La petite fringale dans l’après-midi était comblée avec quelques biscuits achetés dans le petit magasin à l’entrée du monastère. 

Les sessions de méditation

 

En pratique, nous avons vu très peu de méditants effectuer la méditation individuelle du matin et du soir et nous ne nous sommes nous-mêmes pas posé la question, cinq heures de méditation journalière nous suffisaient amplement. Et puis, cela nous a permis de décaler un peu le réveil…

Les sessions collectives de 8h et de 13h se déroulaient toujours de la même manière. Nous avions un moine enseignant le matin, un autre l’après-midi et ça n’était jamais l’abbé. Après un rapide chant bouddhique et une prosternation, l’enseignant nous expliquait pendant un petit quart d’heure l’intérêt d’apprendre à méditer ou détaillait les différents exercices. Cela changeait tous les jours. Après un nouveau chant pré-méditation, nous partions à la queue leu leu (les moines, suivis des hommes puis des femmes) pour 45 minutes de méditation marchée dans le grand parc très bien entretenu du monastère. Le matin, c’était sur le chemin bétonné autour d’un petit étang, et l’après-midi, sur un sentier dans la forêt longeant des petites grottes aménagées en chapelle. Il fallait nous voir, tous vêtus de blancs, marcher très lentement, sans un bavardage. Après cette petite balade où normalement personne ne profitait du paysage (eh oui, il fallait se concentrer sur ses pieds ou sa respiration), nous revenions dans le « Dhamma Hall » pour la séance de méditation assise d’une grosse demi-heure. Ensuite, il y avait la séance de méditation allongée de quinze minutes seulement. La séance était plus courte peut-être car le risque de s’endormir était grand et d’ailleurs les ronflements n’étaient pas rares. L’abbé plaisantait même à ce sujet en parlant de « sleeping meditation » (méditation endormie) quand il évoquait la méditation individuelle du matin dans le kuti. Enfin, nous chantions encore un ou deux chants bouddhiques et nous prosternions une dernière fois, puis la séance était levée. Si nous avions des questions, nous pouvions aller les poser aux moines enseignants qui étaient très accessibles.

La session du soir était un peu différente : elle commençait par 45 minutes de chanting, puis une grosse demi-heure de méditation assise seulement et il n’y avait pas d’enseignement. Vue l’heure, la méditation assise se faisait dans la nuit tombante, lumières éteintes, ce qui lui conférait une ambiance particulière. 

Les pratiques et rituels bouddhiques

 

Nous avons découvert de nombreuses pratiques bouddhiques. Même si nous ne sommes pas croyants, nous les avons bien sûr respectées, c’était peu de chose pour remercier les moines de leur enseignement.

 

Il y avait tout d’abord les règles à respecter en tant que femme. Celles-ci ne doivent pas toucher un moine, ou même lui donner un objet directement. Elles devaient bien entendu avoir une tenue correcte dans le monastère (épaules et genoux couverts). Ensuite, hommes et femmes sont toujours séparés dans le Dhamma Hall où sont pratiqué la méditation, le chanting et les offrandes de nourriture aux moines.

 

Ensuite, dans le Dhamma Hall, il ne fallait jamais pointer ses pieds vers les statues de Bouddha. Les positions acceptées étaient assis fesses sur les talons, assis en petite sirène ou en tailleur. Ainsi, pour passer de la position de méditation assise à la position couchée, nous faisions un 180 degrés pour avoir les pieds à l’opposé.

 

Puis il y avait l’offrande de nourriture aux moines. En fait, normalement, les bonzes qui ne doivent manger que ce que les laïcs leur offrent, vont faire l’aumône au village voisin. Sans doute pour faire plus simple et parce que d’un point de vue bouddhique cela revenait au même, c’était nous qui offrions le riz pour le petit-déjeuner et toute la nourriture pour le déjeuner qui étaient cuisinés dans la cuisine du monastère. En fait, traditionnellement, l’enseignement bouddhique et de la méditation (le Dhamma) est gratuit mais le monastère accepte bien sûr les dons (facultatifs et anonymes) des laïcs et des méditants, qui permet sans doute d’acheter à manger pour les méditants (mais pas les moines car sinon cela ne serait plus une offrande !) qui peuvent ainsi en faire don. La cérémonie du matin était très solennelle et les moines faisaient le tour des méditants hommes puis femmes qui étaient à genoux et déposaient une cuillère de riz dans le bol de chaque moine. En fait, ils rendaient ensuite le riz récolté pour notre petit-déjeuner et on leur amenait d’autres mets qu’ils mangeaient dans leurs quartiers. Le midi, c’était plus cordial et alors que les femmes étaient agenouillées devant l’abbé (le plus gradé des moines) pour lui passer tour à tour les plats, il en profitait pour bavarder un peu avec elles. Les hommes eux, agenouillés devant les autres moines, s’occupaient ensuite de faire passer les plats de moine en moine afin qu’ils se servent. Les femmes ne devaient pas passer directement le plat à l’abbé mais le déposer sur un petit torchon et une fois qu’elles l’avaient lâché, il pouvait le récupérer. Les moines mangeaient alors tranquillement et nous allions nous-mêmes déjeuner à côté. Plusieurs fois, nous avons vu des personnes venir au monastère et offrir de la nourriture aux moines. 

A gauche : la cérémonie d'offrande de riz du matin, chacun attend avec son assiette pour distribuer une cuillère de riz à chaque moine.

Au milieu et à droite : la cérémonie d'offrande de nourriture pour le déjeuner. Les femmes passent les plats à l'abbé qui est le plus à gauche.

Enfin, il y avait le chanting ou les psalmodies. Comme son nom l’indique, cela consiste à chanter des prières bouddhiques en pali, en thaï et en anglais. La première fois où nous y avons pris part, nous nous sommes demandé ce que nous faisions là, d’autant que là-dessus se rajoutaient les prosternations que tout le monde faisait en même temps. Nous nous en sommes très vite remis et avons compris l’intérêt des psalmodies : elles remplaçaient la méditation marchée des autres sessions et permettait à l’esprit, concentré sur les chants dans des langues étrangères, d’arrêter de partir dans le passé et le futur, à la poursuite de la multitude de pensées que nous avons habituellement.

Retour d’expérience

 

Tout d’abord, nous avons apprécié l’expérience en tant que telle. Ce n’est pas tous les jours qu’on s’isole physiquement et mentalement du monde extérieur pendant une semaine entière.

 

Ensuite, nous avons été étonnés de constater les effets de la méditation sur nous. L’ancrage dans l’instant présent recherché par ces techniques de pleine conscience avait des effets assez impressionnants. Dès les premiers jours, nous nous sommes sentis ralentis, très calmes et ressentions une paix intérieure, un bien-être. Si les premières journées ont paru s’étirer en longueur au début, à partir du quatrième jour, nous ne les voyions plus passer. Nous nous sommes davantage rendu compte de tous les sentiments négatifs que nous pouvions avoir dans une journée, que ce soit à propos de nous, des autres ou de certaines situations insatisfaisantes. Dans l’ambiance tranquille du monastère et dans l’espace paisible que nous avions créé dans notre esprit grâce à la méditation, ces sentiments négatifs générateurs de mal-être nous paraissaient décuplés et disproportionnés. Nous nous rendions ainsi compte que nous en étions les seuls responsables et nous les évacuions bien vite.

 

Vincent et l'abbé, fondateur du monastère. Il dit avoir garder le silence pendant 7 ans, 7 mois et 7 jours !
Vincent et l'abbé, fondateur du monastère. Il dit avoir garder le silence pendant 7 ans, 7 mois et 7 jours !

Aussi, à propos de la pratique de la méditation en elle-même, nous avons été agréablement surpris par notre progression assez rapide. Il faut dire que nous ne partions pas de zéro, nous avions déjà lu et pratiqué un peu avant de partir en voyage, même si ce n’était pas les mêmes exercices. Au cinquième jour, nous avons décidé de rallumer le portable. Nous n’avions pas anticipé à quel point cela allait nous faire reconnecter et nous déconcentrer, surtout Mélanie. Après cela, elle avait de grandes difficultés à méditer, son cerveau s’est remis à penser, à se projeter, à planifier ; elle ne parvenait plus à rester dans l’instant présent. Avec de grands efforts, elle a finalement réussi à retrouver son état paisible. Cette expérience nous aura permis de nous rendre compte qu’une fois de retour dans la vie réelle, cela n’allait pas être simple d’obtenir les mêmes résultats…

  

En résumé, à notre avis, la pleine conscience a permis de mettre de la distance avec toutes les pensées qui ne s’ancraient pas directement dans le présent, et même dans le présent, avec toutes les pensées que l’on peut avoir et qui influencent notre humeur. Elle permet donc de relativiser. Nous qui voyions cet apprentissage comme celui par exemple d’un instrument de musique, il s’agit en fait davantage d’une philosophie de vie, à utiliser à chaque instant. A voir maintenant si nous serons capables de transposer cette pratique et ses bénéfices dans notre vie quotidienne.

Récemment, nous avons trouvé une autre définition de la méditation qui à posteriori se rapproche bien des techniques enseignées pendant notre retraite :

 

« Selon le bouddhisme, la plupart des gens identifient le bonheur à des sentiments plaisants, et la souffrance à des sentiments déplaisants. De ce fait, les gens attachent une importance immense à ce qu'ils ressentent et sont avides de connaître toujours plus de plaisirs et d'éviter la douleur. Quoi que nous fassions au fil de notre vie - nous gratter la jambe, pianoter la chaise ou livrer des guerres mondiales -, nous essayons juste de nous procurer des sensation agréables.

 

Le problème, selon le bouddhisme, c'est que nos sentiments ne sont rien de plus que des vibrations fugitives qui changent à chaque instant, telles les vagues de l'océan. Voici cinq minutes, j'étais joyeux et déterminé, mais ces sentiments ont disparu, et je pourrais bien me sentir triste et abattu. Si je veux connaître des sentiments plaisants, il me faut donc être constamment à leur poursuite, tout en chassant ceux qui sont désagréables. Même si j'y réussis, tout est aussitôt à recommencer, sans que je sois jamais récompensé durablement de ma peine.

 

A quoi rime de remporter des prix aussi éphémères ? A quoi bon s'acharner à décrocher une chose qui disparaît presque aussitôt apparue ? Selon le bouddhisme, la racine de la souffrance n'est ni le sentiment de peine ni celui de tristesse, voire d'absence de sens. La véritable racine est plutôt cette poursuite incessante et absurde de sensations éphémères qui nous mettent dans un état permanent de tension, d'agitation et d'insatisfaction. Du fait de cette poursuite, l'esprit n'est jamais satisfait. Quand bien même il éprouve du plaisir, il n'est pas content, parce qu'il a peur qu'il ne dure pas et voudrait tant que cette expérience se prolonge et s'intensifie.

 

Les gens libérés de la souffrance non pas quand ils éprouvent tel ou tel plaisir fugitif, mais quand ils comprennent l'impermanence de leurs sensation et cessent de leur courir après. Tel est l'objectif des pratiques de méditation bouddhistes. Qui médite est censé observer de près son esprit et son corps, suivre l'apparition et la disparition de tous ses sentiments et comprendre combien il est absurde de les poursuivre. Quand la poursuite cesse, l'esprit est détendu, clair et comblé. Toutes sorties de sentiments ne cessent de naître et de passer - joie, colère, ennui, concupiscence -, mais dès l'instant où vous cessez de courir après, vous pouvez les accepter pour ce qu'ils sont. Vous vivez dans l'instant présent au lieu de fantasmer sur ce qui aurait pu être. 

 

 

La sérénité qui en résulte est si profonde que ceux qui passent leur vie dans la poursuite frénétique de sentiments plaisants ne peuvent guère l'imaginer. On peut les comparer à un homme qui passerait des décennies sur le rivage à étreindre certaines "bonnes" vagues et à essayer d'empêcher qu'elles ne se désintègrent mais tenterait de repousser les "mauvaises" pour empêcher qu'elles ne s'approchent de lui. Il se tient sur la plage à longueur de journée, jusqu'à devenir fou devant la vanité de son exercice. Il finit par s'asseoir sur le sable et se contente de regarder le sac et le ressac des vagues. Que c'est paisible ! » Sapiens de Yuval Noah Harari.