Le Népal : notre trek autour des Annapurnas

 

Du 13 décembre 2017 au 7 janvier 2018

Le trajet en voiture entre la frontière chinoise et Katmandou a été très éprouvant : près de 8 heures de trajet pour parcourir 130 kilomètres ! La veille, Arnaud, un français qui faisait partie de notre groupe au Tibet, nous avait pourtant prévenus mais nous n’arrivions pas à y croire. Voyant les heures défiler à défaut des kilomètres, nous avons bien dû nous résoudre à l’idée que nous passerions la journée dans la voiture. L’état de la route (ou plutôt de la piste de terre et de cailloux) était atroce ! Nous étions huit dans le véhicule : nos cinq compagnons de voyage du Tibet, nous deux et le chauffeur, répartis sur trois banquettes. Nous rebondissions constamment sur nos sièges et ceux de la banquette arrière touchaient parfois le plafond.

 

Nous avancions à flanc de vallée sur une route très étroite qui permettait difficilement à deux véhicules de se croiser. En plus de l’état de la route, nous avons dû nous arrêter à trois reprises pour des contrôles de vérification des passeports et fouille des sacs accrochés sur le toit, qu’il fallait donc détacher et descendre à chaque fois. Autant vous dire que cela a pris du temps. Comble de l'étrangeté, nous avons eu droit à deux check-points à 300 mètres d’intervalle. Voyant que les policiers n’étaient pas très attentifs lors de la fouille des sacs, à la fin, nous ne prenions même plus la peine de tous les descendre. Nous nous méfiions quand même car ils étaient habillés en civil. Et puis des fois, nous nous arrêtions à un contrôle, le chauffeur s’absentait deux minutes, et nous repartions comme ça.

 

 

Pour Vincent, à chaque contrôle, c’était la même chose : la sonorité entrainée par la manipulation de l’emballage du « Shou », jeu tibétain que nous avions acheté à Lhassa, attirait la curiosité des agents. Il faut dire que le sac, contenant des pièces en métal et des petits coquillages qui s’entrechoquaient ensemble, provoquait des sons non indentifiables. Nous ne savions pas vraiment ce que les contrôleurs recherchaient, mais l’avantage, c’est qu’ils stoppaient là leur fouille sans découvrir les bouteilles d’alcool chinois que nous transportions, faute d’avoir eu le droit de les envoyer en France par la poste. 

Finalement, c’est bien fatigués que nous sommes arrivés dans la soirée à Katmandou. Le lendemain a été consacré à un repos total, Mélanie achevant de récupérer de son épisode maladif. Nous avons passé les trois ou quatre jours suivants à découvrir tranquillement la capitale népalaise, cette fourmilière géante complètement congestionnée et poussiéreuse qui dégage néanmoins un charme certain. Après quelques jours, nous avions pris nos marques dans la ville, nous commencions à nous y sentir bien. 

Nous nous sommes également lancés dans la préparation de notre trek : notre choix s’était arrêté sur le tour du massif des Annapurnas. Nous avons longtemps hésité car nous avions entendu parler de la transformation du sentier de randonnée en une route cailloutée sur une portion du trek. Ainsi, certains marcheurs se faisaient emmener en 4x4 directement jusqu’à Chamé (notre destination du troisième jour de marche). Nous craignions que le trek perde en charme et en tranquillité, mais on nous a expliqué que des sentiers alternatifs avaient été aménagés pour éviter de marcher sur la route. Et puis ce trek assez fréquenté et bien balisé était parfait pour une première expérience, car après notre semaine au Tibet, nous n’avions pas envie d’engager un guide. On nous avait dit qu’à cette saison il y avait environ 200 marcheurs sur le circuit, contre 2 000 en haute saison, ça ne serait donc pas non plus l’autoroute. Nous prévoyions deux semaines de marche, même si évidemment nous n’étions pas à quelques jours près. En effet, nous voulions prendre notre temps et non pas essayer d’avancer le plus possible chaque jour. De toute façon, à cette saison, le soleil ne se levait qu'à 7h et il faisait nuit dès 17h30 voire plus tôt en fonction de la localisation des montagnes, ce qui laissait moins d’heures pour randonner. Enfin, nous avons respecté les préconisations en matière d’acclimatation : à partir de 2 500 - 3 000 mètres d’altitude, pas plus de 500 mètres de dénivelé positif journalier. Revenant du Tibet, nous savions à quoi ressemblait le mal des montagnes et nous voulions l’éviter. 

Profil altimétrique du trek des Annapurnas
Profil altimétrique du trek des Annapurnas

Ces quelques jours à Katmandou ont donc filé rapidement entre visites et préparatifs. Aussi, nous avons loué des duvets et des doudounes adaptés à des températures négatives, car nous savions qu’en altitude, les degrés chuteraient, surtout la nuit où il ne fallait pas espérer avoir du chauffage dans les chambres. 


J0 : Katmandou – Bhulbhule :

Depuis Katmandou, nous avons pris le bus de 7h du matin direction Bhulbhule, village que nous avons atteint seulement en fin d’après-midi. Nous avons choisi de prendre le bus local et non pas le bus touristique pour plus d’authenticité. Et nous n’avons pas été déçus ! Le bus magnifiquement coloré et très vieux vibrait énormément, les places étaient toutes petites (les cuisses de Vincent ne tenaient pas en longueur) et de nombreuses guirlandes colorées et fleuries ornaient le pare-brise. Le chauffeur travaillait avec un rabatteur de très jeune âge qui montait et descendait sans cesse du bus en marche, criant le nom de notre destination. Quand il avait trouvé de nouveaux passagers, il faisait signe au chauffeur : un coup tapé dans la carrosserie pour qu’il s’arrête, deux coups pour qu’il reparte.

A Bhulbhule, il était trop tard pour commencer à marcher, c’était partie remise pour le lendemain matin. Nous sommes rentrés dans une guest-house au hasard sur le bord de la route. Nous étions pressés que la nuit passe, nos jambes nous démangeaient.

Une première vue sur les montagnes enneigées, depuis Bhulbhule.
Une première vue sur les montagnes enneigées, depuis Bhulbhule.

Nous avons commencé à marcher à partir de Bhulbhule sur les conseils des employés du bureau des permis de trekking à Katmandou, mais en fait nous aurions pu commencer neuf kilomètres plus tôt à Besisahar. Ce n’est que le lendemain, après notre première journée de marche, en échangeant avec les autres trekkeurs, que nous avons appris que cette portion valait l’effort car le chemin qui montait donnait une vue magnifique sur la vallée. Et les puristes que nous étions étaient légèrement frustrés de ne pas avoir commencé bien au début du trek. Tant pis pour nous, nous aurions dû nous renseigner davantage, mais en tout cas, ce n’était pas grand-chose devant ce qui nous attendait.

J1 : Bhulbhule (840 m) – Jagat (1 300 m) : 

Cette première étape a été une mise en jambe assez facile, avec peu de dénivelé. Nous avons traversé de beaux paysages très verts avec des cultures en terrasse ici et là, ainsi que nos premiers villages. Nous nous sommes beaucoup arrêtés pour prendre des photos. Après une heure de marche, nous avons rattrapé un couple devant nous avec qui nous avons sympathisé : Chris, une canadienne et son compagnon Phil, américain. Avec Caroline, une jeune autrichienne rencontrée plus tard sur le chemin, nous avons finalement marché tous ensemble toute la journée. Nous n’avions même pas faim pour le déjeuner, nous nous sommes juste arrêtés une quinzaine de minutes pour grignoter. 

Manque de chance, il faisait déjà nuit quand nous sommes arrivés à Jagat, marquant la fin de notre étape journalière. Il n’était plus envisageable d’aller faire trempette dans la source chaude située à 25 minutes en contrebas du village. Tant pis, nous savions qu’il y en aurait au moins une autre sur la route. Pour une première journée, nous avions commencé plutôt fort puisque nous avions marché huit heures. Nous n’étions pas fâchés d’arriver, mais pas épuisés non plus. Là encore, nous avons choisi une guest-house au hasard où nous avons logé tous ensemble. Nous y avons rencontré encore d’autres trekkeurs et le passage du col à plus de 5 000 mètres s’était déjà invité dans les sujets de conversation. 

J2 : Jagat (1 300 m) – Dharapani (1 900 m) :

Ça a été la journée des cascades, nous en avons bien croisé une petite dizaine. Nous sommes partis un peu avant Chris et Phil et nous avons rapidement rattrapé le couple d’australiens (Alicia et Lione), rencontrés la veille à la guest-house. Phil et Chris nous ont quand même rejoints après le déjeuner et nous avons fini la journée tous les six. C’était agréable de croiser des gens avec qui partager un bout de route. Nous nous sentions toujours libres de marcher tous les deux si nous le souhaitions, mais à la fois liés aux autres par l’effort, un peu comme dans une équipe, alors que nous venions de nous rencontrer ! En arrivant, nous avons logé dans le même établissement que le couple d’australiens, les chambres avaient une vue imprenable sur la rivière en contrebas. Nous étions dans la même tranche d’âge et nous avons passé la soirée tous les quatre.

J3 : Dharapani (1 900 m) – Chamé (2 710 m) :

Le lendemain matin, c’est naturellement que nous sommes partis en même temps qu’Alicia et Lione. Nous avons décidé de prendre un sentier alternatif en passant par le petit village d’Odar, situé en hauteur. Ce détour avait le mérite de nous faire éviter une portion de route et à postériori, il nous a permis de nous mettre en jambe dès le matin. En effet, nous avons directement attaqué par une montée assez raide pendant 30 minutes. Nous avons été récompensés de ces efforts par une première belle vue sur les montagnes enneigées. Pour cette journée de marche, le trek a emprunté un peu trop la route cailloutée à notre goût, plutôt que des petits sentiers alternatifs. Chaque voiture qui passait faisait s’envoler son lot de poussière. Nous n’étions pas mécontents d’arriver à Chamé car les 4x4 avançant les trekkeurs n’allaient pas plus loin, la route était censée s’arrêter. Le village était assez gros, et c’est à partir de cette nuit-là que nous avons commencé à mettre notre matériel électronique et notre Lifestraw (gourde avec un filtre intégré) dans nos duvets pour ne pas qu’ils souffrent du froid pendant la nuit.

J4 : Chamé (2 710 m) – Ghyaru (3 730 m) :

Ça a été notre étape préférée depuis le début du trek. Les paysages nous ont beaucoup plu et les australiens ayant pris un peu d’avance, nous avons apprécié de nous retrouver un peu tous les deux. Nous les avons rattrapés après le déjeuner à Upper Pisang, où les autres marcheurs (avec guides) s’étaient arrêtés pour la nuit. Mais ce n’était que le début d’après-midi, nous avions encore envie d’avancer. Si la première heure de marche jusqu’au prochain village se faisait sur terrain plat, nous avions lu qu’il restait ensuite 500 mètres de dénivelé. C’était sans doute pourquoi les guides gardaient cet effort pour le lendemain matin, pour des corps reposés après la nuit. Mais nous, nous avons préféré faire l’effort aujourd’hui, pour que la route soit plus facile le lendemain. En effet, au bout d’un moment, nous avons vu au loin devant nous une énorme colline en haut de laquelle se trouvait un petit village. Nous avons compris qu’il s’agissait de notre point de chute pour la nuit. La montée a été longue et difficile, mais nous savions que c’était le dernier effort de la journée, bonus pour le lendemain. Nous pensions déjà à la douche chaude et au bon repas qui nous attendaient. Une fois en haut, le village était quasiment désert, seules deux guest-house étaient ouvertes. Nous avons passé la nuit dans un endroit au confort très sommaire, et nous avons rapidement compris que nous allions oublier la douche car il fallait faire chauffer de l’eau avec le poêle, puis aller dans une cabine dehors pour s’en asperger alors qu’il faisait déjà noir et froid. En prime, il n’y avait plus d’électricité dans le village depuis trois semaines à cause d’une panne indéfinie concernant trois villages entiers. C’est donc à la bougie et à la lampe frontale que la gérante de ce boui-boui nous a préparé à manger. Nous nous étions tous regroupés autour du poêle où elle cuisinait, il faisait tellement froid ! Nous avions même sorti les doudounes. Eh oui, à cette saison et à cette altitude, la température chutait considérablement en fin de journée. En fait, peu de trekkeurs font étape à Ghyaru, ils s’arrêtent au village d’avant, à Upper Pisang, c’est pourquoi les établissements y sont peu nombreux et peu développés. Pour le réconfort après l’effort, on repassera !

J5 : Ghyaru (3 730 m) – Manang (3 540 m) :

Au réveil : 5°C dans la chambre

 

Petite pensée pour ceux qui ont fait étape juste avant la montée finale de la veille, nous avons laissé Ghyaru derrière nous. étant donné l’avance prise le jour d’avant, l’étape du jour devait être plus courte. Enfin sur le papier… Du coup, nous avons largement pris notre temps et nous en avons pleinement profité pour admirer le paysage qui était de plus de plus magistral. Et puis, cette fois, nous n’avons pas du tout randonné sur la route, qui était de l’autre côté de la vallée. A force, les heures défilaient et les kilomètres finissaient par se faire sentir. Presqu’à la fin, nous avons encore une fois choisi de prendre un sentier alternatif pour éviter de récupérer la grosse route cailloutée. Le marquage que nous suivions habituellement pour le trek avait été effacé pour ce chemin secondaire et dirigeait les trekkeurs vers la route. Après hésitations, nous avons fait confiance à notre application qui nous géolocalisait et nous indiquait qu’il y avait bien un trail, espérant ne pas se retrouver en cul-de-sac à un moment à cause d’un glissement de terrain par exemple. Encore une montée difficile (mais moins longue), un plateau où paissait un troupeau de yaks, puis une descente où nous avons dû faire attention car nous sentions que nous nous trouvions en zone d’éboulements. Peut-être est-ce pour cela que ce sentier n’était plus balisé dans le trek, ou alors cela faisait trop d’efforts en une journée avec la montée de Ghyaru. Toujours est-il que nous sommes arrivés assez fatigués à Manang, et même après ceux qui s’étaient arrêtés à Upper Pisang la veille. Au moment du déjeuner, le restaurateur nous avait conseillé l’hôtel Tilicho à Manang pour faire étape, nous avons suivi son conseil les yeux fermés.

J6 : Journée de repos à Manang : 24 décembre

Au réveil : 3°C dans la chambre

 

Pour respecter l’acclimatation à l’altitude et à la baisse de la proportion de l’oxygène dans l’air, nous avions prévu une journée de repos à Manang. Les jours précédents, nous avions croisé deux personnes qui avaient dû faire demi-tour car elles avaient le mal des montagnes. Et même ici à l’hôtel, une marcheuse attendait une voiture qui devait la redescendre car cela faisait plusieurs jours qu’elle n’allait pas bien et que ça ne s’améliorait pas. Nous voulions donc mettre toutes les chances de notre côté.

  

Au matin, Vincent ne s’est pas senti bien, fatigué, fiévreux. Il est ainsi resté au lit toute la matinée, emmitouflé dans les couvertures et les habits chauds car même en journée, il ne faisait pas très chaud. Pendant ce temps, Mélanie s’est attelée à laver du linge, comme les népalaises, accroupie au robinet dehors, essayant de ne pas glisser dans le bac où la glace s’était formée. Ensuite, nous nous sommes posés dans le salon-véranda à l’étage de l’hôtel, où les deux poêles chauffaient à plein régime toute la journée. C’était original de se retrouver avec des inconnus à laisser s’égrainer le temps comme ça, à lire, qui plus est un 24 décembre ! En milieu d’après-midi, Vincent allant mieux, nous nous sommes décidés à aller crapahuter un peu pour voir les montagnes depuis une colline voisine ainsi qu’une moraine. Faire un petit effort comme cela, c’était bon pour l’acclimatation et pour nous dégourdir les jambes ! 

Tout au long de la journée, nous avons réfléchi encore et encore, pour savoir si nous voulions ou non aller randonner jusqu’au lac Tilicho, à 4 919 mètres d’altitude. C’était le plus haut lac de son envergure au monde, nous répétaient fièrement les népalais. Si nous y allions, cela nous rajoutait deux ou trois jours de marche. Un guide rencontré plus tôt nous avait confié que le chemin pour y aller n’était pas facile, surtout à cette époque à cause de la glace gelée et du vent qui pouvait être vraiment gênant quand le sentier était étroit. Ah, et il a parlé de zones de glissements de terrain aussi. Après une longue hésitation, nous nous sommes dit que notre trek de deux semaines nous suffisait déjà comme cela et après le petit coup de pompe de Vincent, ce n’était pas la peine de trop en demander. On a même chacun acheté un bâton de randonner, au cas où la descente après le pass soit elle aussi glissante. Notre route se séparait donc d’Alicia et Lione, qui eux avaient décidé d’y aller. Par la suite, ils nous confirmé que le chemin avait été vraiment difficile car dangereux à cause de la glace, mais cela leur avait beaucoup plu.

Pour le diner du 24, nous nous sommes accordé un burger avec de la viande et du fromage de yak que nous avions repéré la veille dans le menu. D’habitude, les menus dans les guest-house étaient plutôt basiques et redondants, mais visiblement l’hôtel Tilicho savait ce dont les trekkeurs rêvaient. Après le repas, nous avons discuté avec un groupe de moines bouddhistes qui faisaient étape avant de partir en retraite pendant une semaine dans des grottes voisines.

J7 : Manang (3 540 m) – Ledhar (4 200 m) : 25 décembre

Et voilà, Noël était arrivé ! Autant vous dire que nous n’avions pas prévu de cadeau à nous offrir, il était sous nos yeux à chaque instant. Au petit-déjeuner, nous avons même eu le droit à des pâtisseries ! Nous sommes partis un peu en trainant des pieds de l’hôtel, nous nous y étions sentis tellement bien.

 

Sur le chemin, nous avons commencé à rencontrer de la neige (pas fraîche) par endroits. Le temps était plus couvert, il y avait du vent. La montée était douce mais déjà Mélanie ressentait que ses pas lui étaient plus coûteux. 

A Ledhar, le village était désert, il se résumait en fait à quatre hôtels/maisons d’hôtes. Comme il était tôt dans l’après-midi, nous avons décidé de faire le tour des établissements, en privilégiant la présence d’un poêle dans la salle commune dans notre choix. Après nous être renseignés dans deux hébergements où il n’y avait personne, nous sommes entrés dans un troisième où de la fumée s’échappait de la cheminée. Et là, nous sommes tombés sur les trekkeurs, les guides et porteurs aux visages connus que nous avions rencontrés au fur et à mesure du trek et qui étaient tous à l’hôtel Tilicho à Manang. La pièce commune était grande mais ils étaient tous collés au poêle au centre de la pièce. Nous nous sommes joints à eux, nous étions ainsi une dizaine. Nous avons passé une après-midi et une soirée de Noël assez improbables à tous se serrer auprès du feu en lisant et en discutant. La première fois que tout le bois du poêle s’était consumé, nous avions attendu que le gérant vienne en remettre mais au bout d’un moment, Mélanie, ne supportant plus le froid malgré la doudoune, les gants, le snood et le bonnet, a été demandé du ravitaillement. Le gérant s’est exécuté en disant quelque chose en népalais. Un des guides nous a expliqué qu’il n’était pas très content, car le bois et les crottes de yaks devaient être acheminées jusqu’ici, puisqu’il n’y avait plus de forêts à cette altitude et cela coûtait cher. Nous lui avons pourtant demandé du consumable plusieurs fois jusqu’au coucher, il faisait vraiment très froid !

Nous étions maintenant à deux jours du passage du col et nous sentions que la tension et l’excitation avaient monté d’un cran. C’était renforcé par les conditions dans lesquelles nous étions : le froid, les paysages à la végétation plutôt épurée et la raréfaction des hommes et des animaux. Et puis le temps s'était couvert dans la journée et le vent s'était levé. Même dans le village, il n’y avait que nous ou presque, alors que nous étions plutôt nombreux à Manang. A postériori, nous ne comprenions pas pourquoi il n’y avait pas plus de monde à Ledhar comparé à Manang. Lorsqu’un des guides a expliqué le mal des montagnes à son client trekkeur ainsi que le déroulement du passage du col, le silence s’est fait autour de lui pour l’écouter attentivement et profiter de sa connaissance. Le guide a rajouté qu’en général, il vallait mieux ne pas trop parler des symptômes car après chacun croyait en avoir.

J8 : Ledhar (4 200 m) – High Camp (4 850 m) :

Au réveil : -4°C dans la chambre

 

Après une première partie assez plate lors de laquelle nous sommes passés (sans nous attarder) dans une zone de glissement de terrain, suivie d’une petite pause, nous avons attaqué, l’éprouvante dernière montée jusqu’au High Camp. L’effort était dur, mais gérable. Nous sommes ainsi arrivés à destination en début d’après-midi, nous étions désormais au-dessus du Mont Blanc !

Au High Camp, il y a un unique hébergement et nous avons retrouvé avec plaisir nos compagnons de route. Comme la veille, nous avons grelotté toute l’après-midi d’autant plus que cette fois, le poêle ne devait être allumé qu’en début de soirée, pour le diner. Samuel, un suédois d’une trentaine d’année, n’y tenant plus, est même parti dans sa chambre se réfugier dans son duvet ! La vue sur les montagnes était magnifique, et nous avons repéré le chemin pour le lendemain matin que nous allions aborder à la lumière frontale. En effet, les guides conseillaient de partir tôt afin d’arriver au sommet dans la matinée pour éviter le vent. Mélanie se trainait un mal de crâne ou plutôt de nuque, car elle ressentait comme un placard au sommet du cou. Samuel aussi ne se sentait pas très bien ainsi que l’anglais Marc, ils étaient nauséeux. Puis, cela a été au tour de Laure, une française, d’avoir mal à la tête. Nous avons tous pris un médicament fait exprès pour le mal des montagnes que Laure nous a fourni. La douleur et la sensation de raideur de Mélanie ne sont pas passées pour autant, tant pis. Pour Vincent, tout allait bien. Au moins, nous ne nous sentions pas essoufflés et nos gestes nous coûtaient moins qu’au camp de base de l’Everest au Tibet. En allant nous coucher, nous avons observé avec délice la voie lactée. 

J9 : High Camp (4 850 m) – Thorang-La Pass (5 416 m) – Muktinath (3 800 m) :

 

Au réveil : -5°C dans la chambre (heureusement qu'on a loué des Supers duvets !)

 

Le grand jour est arrivé. Le départ est prévu à 6h au lieu de 5h car les gérants de la guest-house n’ont pas voulu préparer le petit déjeuner avant 5h15 du matin. Au petit déjeuner, chacun prenait des nouvelles sur le déroulement de la nuit de l’autre. Alors que certains ont très peu dormi et ont senti des troubles dans leur respiration, pour nous, la nuit s’est bien déroulée. Nous avons seulement eu un peu d’agitation au départ à cause de souris qui sont venues ronger nos amandes et nos noix de cajou.

 

L’anglais et le suédois, qui ont chacun leur guide, ont pris rapidement les devants. Laure a décidé de rester avec nous pour ne pas être toute seule, comme on nous l’a conseillé.

Dès les premiers hectomètres, les difficultés ont commencé car Mélanie ne s’est pas sentie bien : son mal de tête qui ne l’avait pas quitté depuis la veille s’est intensifié et de fortes nausées sont apparues, l’obligeant à faire des pauses pour qu’elles passent plus ou moins. Laure lui a redonné un médicament. Peu de temps après, c’était au tour de Laure d’avoir un fort mal de tête et d’importantes nausées. Nous avancions donc très lentement. Au bout d’une heure, Vincent inquiet, a pensé un temps qu’il allait falloir faire demi-tour. Finalement, Mélanie a trouvé un équilibre dans son rythme et s’est sentie mieux. Par contre, l’état de Laure ne s’améliorait pas et ses pauses étaient de plus en plus fréquentes. Nous étions partis depuis deux heures déjà et la route s’annonçait encore longue. Laure nous assurait qu’elle pouvait y arriver, nous avons continué vers le sommet. 

Nous avons finalement atteint le Thorang-La pass, point culminant de notre trek, à 5 416 mètres, après quatre heures de galère. Après huit jours de marche et dans le contexte de ce dernier effort, nous avions pratiquement les larmes aux yeux quand nous avons découvert le sommet qui n’est visible que quelques minutes avant d’y arriver. Après une rapide séance photo, il était déjà temps d'entamer les trois heures de descente (1 600 mètres de dénivelé négatif). Là, c’était facile, Mélanie allait beaucoup mieux, contrairement à Laure. Il n’était pas question de la laisser seule dans ce contexte. Elle voulait se reposer et faire une sieste mais il ne fallait pas qu’elle reste à cette altitude, elle devait absolument descendre, c’est ainsi qu’elle irait mieux. La descente a donc été également longue. Nous sommes finalement arrivés à un restaurant, où nous avons déjeuné pendant que Laure s’est reposée. Après, enfin, elle a commencé à se sentir mieux, il faut dire que nous avions déjà perdu 1 200 mètres d’altitude depuis le col. Inutile de vous dire que le plat à base de riz avec la petite boisson fraîche après sept heures d’effort ont été les bienvenus. Il ne nous restait ensuite qu’une heure pour rejoindre la petite ville de Mulkinath. Nous avons eu plaisir à retrouver dans notre hôtel deux autres randonneurs de Ledhar et du High Camp, un australien et un américain. 

J10 : Muktinath (3 800 m) – Thini (2 810 m) :

Sans doute fatigués des efforts de la veille, nous n’avons pris le départ qu’à 10h ce matin-là, avec une seule idée en tête : être à Poon Hill pour le 31 décembre et voir le premier levé de soleil de l’année là-haut le lendemain.

Après une marche agréable de quatre heures sur sentier pour rejoindre le petit village de Lupra, nous avons eu la mauvaise surprise d’apprendre que le chemin alternatif que nous avions prévu de prendre ensuite était inaccessible et qu’il fallait rejoindre la route. Les deux dernières heures de marche de la journée pour rejoindre Jomson resteront dans les annales comme les pires du trek. Pas du point de vue dénivelé puisqu’il n’y en avait pas, mais à cause des bourrasques de vent incessantes à cette heure dans la vallée et de la poussière qui s’envolait à chaque passage de voiture et était poussée vers nous par le vent. Enfin arrivés à Jomson, nous avons rassemblé le peu de courage qu’il nous restait pour rallier le petit village de Thini à 30 minutes de marche en remontant un peu. Il présentait l’avantage d’être plus authentique que la grosse ville et de nous avancer pour le lendemain.

J11 : Thini (2 810 m) – Ghasa (2 010 m) :

Grosse journée en perspective. L’objectif était de rallier la ville de Ghasa située à 31 kilomètres de là. Après neuf heures de marche, c’était chose faite. Ça a été sans aucun doute notre plus longue étape et de loin l’une des moins intéressantes. La vue n’avait rien d’exceptionnel à part quelques tronçons sympathiques à travers la forêt. Nous sommes arrivés à Ghasa de nuit et il était temps car Vincent commençait à montrer des signes de fatigue. La descente, ce n’était pas son truc.

J12 : Ghasa (2 010 m) – Tatopani (1 200 m) :

Cette étape de descente était sur le papier relativement courte (5 heures) selon sa description sur notre guide. Néanmoins, elle a été relativement difficile pour Vincent. Nous sommes arrivés en milieu d’après-midi à Tatopani et avons décidé de ne pas poursuivre plus aujourd’hui et de s’accorder une fin d’après-midi de repos. Nous avons profité de l’attraction principale du village : les sources chaudes. Nous avons cependant été un peu déçus car il s’agissait de sources aménagées et non en pleine nature comme à Jagat et il y avait pas mal de monde. Mais ce repos nous a fait le plus grand bien. A la guest-house, nous avons retrouvé par hasard Marc et son guide ainsi que son porteur, arrivés un peu plus tôt. Nous avons passé la fin d'après-midi et la soirée ensemble. Pour lui, l’ascension du pass s’est bien déroulée même si c’était dur : en deux heures il était au sommet.

J13 : Tatopani (1 200 m) – Ghorepani (2 870 m) : le 31 décembre

Mélanie redoutait un peu cette étape dont le profil altimétrique annonçait 1 600 mètres de montée. Nous avons opté pour un départ matinal (7h) afin d’arriver le plus tôt possible et éviter d’être trop fatigués pour la soirée du réveillon.

 

Cette étape de montée s'est finalement révélée moins difficile que prévu et nous avons atteint notre destination en un peu plus de six heures. Eh oui, l'oxygène de l'air était revenu à la normale, ça allait tout de suite mieux ! A Poon Hill, il n’y a pas d’hébergement donc nous avons passé la nuit au plus proche, à Ghorepani. Le lendemain, il nous resterait à peine quarante-cinq minutes pour rallier Poon Hill, situé 330 mètres plus haut.

  

C’était le réveillon du nouvel an mais la carte du restaurant était moins alléchante que pour le 24 au soir. Nous avons pris deux pizzas, une soupe et une salade arrosées d’une bière locale. Après quoi, nous sommes retournés au coin du feu pour lire. L’ambiance était plutôt calme dans la guest-house : à 21h, la quasi-totalité des voyageurs avait regagné sa chambre... De notre côté, nous avons vraiment fait ce que nous avons pu mais nous n’avons pas réussi à veiller jusqu'à minuit, le sommeil nous a emportés un peu avant 23h. 

J14 : Ghorepani (2 870 m) – Poon Hill (3 210 m) – Nayapul (1 070 m) : 1er janvier 2018

Le lendemain, le réveil a sonné à 5h pour la montée direction Poon Hill. Dans la froideur de la nuit, à 3 000 mètres d’altitude, nous étions plusieurs centaines en file indienne, lampe frontale sur la tête, à affronter la montée. Cette forte densité de trekkeurs en comparaison à nos deux semaines de quasi-solitude nous a surpris. Nous avons plus tard appris qu’un grand nombre de personnes partaient de Nayapul (notre destination finale) pour un trek de 3 à 5 jours direction Poon Hill, puis retour à Nayapul. Si la vue au sommet valait le détour malgré les nuages, nous avons été dépassés par la forte fréquentation des lieux et avons eu un peu de mal à profiter de la beauté de la vue avec toute cette agitation autour de nous. Les gens sont vite redescendus, il faut dire qu’il faisait vraiment froid avec le vent. Nous sommes finalement descendus à notre tour, et après s’être attardés au petit déjeuner, nous avons tranquillement entrepris notre dernière journée de descente. En fait, nous nous sommes rendu compte que nous n’étions pas franchement pressés de terminer le trek.

Sur la route, nous avons croisé beaucoup de marcheurs dans le sens inverse. Les trekkeurs que nous croisions détonnaient avec ceux que nous avions côtoyés et nous-mêmes : habits propres, l’air en forme, le pas lent. Nous avons même croisé une fille bien apprêtée, en bottines d’hiver et jean, avec le sac de couchage sous le bras comme si elle rentrait de sa soirée du nouvel an au petit matin. Face à l’interminable succession de marches, nous étions bien contents d’être dans le sens de la descente ! C’était les jambes légères et le pas rapide que nous avons rallié Nayapull en un peu plus de 5 heures.

Arrivés à la fin du trek, les marcheurs prenaient directement le bus pour rejoindre Pokhara dans la soirée puisqu’il y en avait très souvent. Une fois à Pokhara, il était facile de prendre un nouveau bus dans les jours suivants pour Katmandou. Déjà nostalgiques de finir le trek et n’ayant rien réservé à Pokhara, nous avons décidé de retourner au village précédent plus charmant (Birethanti) pour passer une dernière soirée ainsi qu’une dernière nuit sur le circuit. 


Le lendemain matin, nous avons rejoint Pokhara en début d’après-midi. Nous avons ensuite passé plusieurs heures à errer mollement autour du lac, sans réelle motivation. Après avoir eu un but simple de destination chaque jour pendant deux semaines, la transition était assez brutale. Le lendemain, peut-être par manque, nous avons rejoint à pied une colline à 5 kilomètres de notre hôtel et grimpé 800 mètres pour aller revoir une dernière fois la chaîne himalayenne : elle était toujours aussi belle.

A l’heure du bilan, ce trek de deux semaines restera pour le moment notre plus beau souvenir du voyage : plus de 200 kilomètres parcourus, une faible fréquentation, le dépassement symbolique du toit de l’Europe, l’expérience de l’altitude et la rencontre avec les autres marcheurs.