La Chine : voyage dans l'Empire du Milieu (sécuritaire) (2/3)

 

Du 18 novembre au 13 décembre

Le Gansu et le Qinghai

Nous avions gardé du temps avant notre semaine au Tibet pour cheminer vers le sud. Après le Xinjiang, nous sommes donc descendus vers le Gansu et le Qinghai puisque l’unique porte d’entrée terrestre du Tibet se situe à l’est, par Xining, d’où nous avions réservé un train pour Lhassa.

Notre itinéraire en Chine :

  • Xinjiang : A=Kashgar   B=Hotan   C=Kuqa   D=Tourfan
  • Gansu et Qinghai : E=Dunhuang   F=Zanghye   G=Xiahe   H=Xining
  • Tibet : I=Lhassa   J=frontière sino-népalaise

Nous avions tout d’abord prévu de nous arrêter à Dunhuang afin d’aller visiter les grottes bouddhistes de Mogao classées au patrimoine mondial de l’UNESCO, ainsi que les dunes de sable chantantes et leur oasis en croissant de lune.

Aux grottes, nous avons eu droit à une visite guidée privée car nous étions les deux seuls francophones sur les lieux, c’était très intéressant. En fait, il s’agit de presque 500 grottes creusées sur la route de la soie par des fidèles afin d’abriter des chapelles bouddhiques. Le bouddhisme faisait écho aux commerçants entreprenant ce long et dangereux voyage. Une quarantaine de grottes sont ouvertes au public par roulement, dont dix en permanence. Parmi ces dernières, la grotte 96 est certainement la plus célèbre car outre son ornement extérieur travaillé, elle abrite un Bouddha Maitreya (le prochain à venir sur Terre) de 35 mètres de haut ! Dommage que les photos à l'intérieur des grottes soient interdites... Et là, pas possible de gruger puisque la guide ne nous quittait pas.

Quant aux dunes chantantes, nous avons été déçus. Les lieux étaient très touristiques, très aménagés donc sans aucun charme. Tout y était : loueur de chameaux pour partir en balade, Jeep ou quad pour les amateurs de sensation forte, musique forte et en boucle, plateforme bétonnée et restaurant au bord de l’eau. Il y avait même une échelle dans le sable pour faciliter la montée. Cela dit, la pente était très raide et cela aurait demandé beaucoup d’efforts pour atteindre le sommet sans. Vincent s’est éloigné un peu de toute cette agitation pour une ascension ambitieuse (trop ambitieuse). 

Ensuite, nous nous sommes dirigés vers Zhangye où nous avons tout d'abord fait un petit tour dans la ville. Ici, visiblement, Mélanie aurait moins de travail en kinésithérapie puisque les personnes s'entretiennent seules et très sérieusement !

Ensuite, nous souhaitions visiter deux parcs naturels : les montagnes colorées du parc géologique de Zhangye Danxia, ainsi que les formations rocheuses du parc naturel de Binggou. Là encore, nous avons été déçus de l’aménagement à outrance des deux parcs. Quand nous pensions à notre visite à venir, nous imaginions nous perdre à pied sur des sentiers, accompagnés des bruits d’éventuels animaux ou du moins de ceux de la nature. Au lieu de ça, nous avons eu le droit d’être trimballés avec tous les touristes dans des bus, d’attraction en attraction, sur des routes goudronnées et des passerelles en bois, où par exemple, la notice « Mind the step » (en français : "Attention à la marche") était inscrite toutes les trois marches, le tout accompagné de musiques à fort volume et pas vraiment appropriées à la contemplation du paysage. Nous savions qu’il y avait des bus mais nous avions prévu de faire les visites à pied, histoire de bien profiter de la nature. Cependant, pour chaque parc, on nous a assuré que c’était impossible car les distances entre les attractions étaient beaucoup trop importantes. En fait, elles ne l’étaient pas du tout mais finalement randonner sur une route goudronnée n’était pas franchement intéressant. Et puis, pour le second parc, le ticket basique ne permettait pas aux touristes d’accéder à la partie la plus éloignée, là où nous avions lu que les montagnes colorées étaient les plus belles… Quelle déception ! Il fallait payer plus de 30 euros par personne pour y aller ! Comble du comble, quand Vincent a commencé à traverser la route déserte (seulement fréquentée par les bus touristiques de temps en temps), il s’est fait reprendre par un employé qui l’a contraint, malgré des protestations d’incompréhension, de prendre le passage pour piétons. Juste après, d’autres employés du parc ont justement traversé en dehors des clous… Et il faut voir comment les piétons traversent en ville… Ah, et encore après cet épisode, le bus nous a arrêté à la dernière attraction, juste pour prendre des photos d’en bas car la passerelle était en cours de rénovation. Il s’agissait justement de l’attraction la plus spectaculaire, qui défilait en boucle dans leur vidéo de promotion…

A gauche : la route déserte et son passage piéton.

A droite : vous reconnaîtrez le caractère de Vincent qui traversera finalement juste à côté du passage avec un regard appuyé vers l'employé qui le surveille...

Avec tout ça, heureusement que les formations rocheuses étaient magnifiques !

Nous avions compris qu’en matière de visite de sites naturels, en Chine, nous nous retrouverions toujours avec la même déception. En regardant de plus près le touriste chinois, nous avons compris qu’il aimait voyager en sécurité et se laisser guider.

Nous avions ensuite prévu de visiter un peu le Tibet historique, aujourd’hui situé dans le Gansu et le Qinghai et qui subit moins le joug du gouvernement chinois. Cela allait nous permettre de constater les différences avec la semaine de voyage organisé au Tibet autonome qui allait suivre et de commencer notre acclimatation à l’altitude puisque nous montions sur le plateau tibétain, à près de 3000 mètres. 

Nous avons donc décidé de visiter les deux monastères appelés Longwu Si et Wutun Si de Tongren (Repkong en tibétain) dans le Qinghai et celui de Labrang à Xiahe dans le Gansu. Ce sont de très importants lieux de pèlerinage. Nous avons beaucoup apprécié prendre notre temps pour découvrir le bouddhisme et les tibétains. 

La première chose que nous avons appréhendé était le comportement des pèlerins tibétains : leur circumambulation dans le sens horaire autour de stupas, de temples ou du monastère en lui-même en faisant tourner les moulins à prières (dans le sens horaire également) ainsi que leurs prosternations répétitives devant les temples. Quand ils étaient nombreux, cela créait une impressionnante dynamique. Il ne fallait pas perdre le rythme pour faire tourner les moulins à prières car ils ne traînaient pas ! Ils étaient très souriants et nous encourageaient à participer ou à rentrer dans les temples. Nous avons été surpris de l’importance des donations financières que les pèlerins effectuent : ils donnent peu à chaque fois mais pleins de fois dans un même temple (ils font le tour dans le sens horaire et s’arrêtent à différentes statues, portraits…etc où ils donnent de l’argent, de la nourriture, ou rajoutent du beurre dans les récipients des bougies).

Dans les monastères, de temple en temple, nous avons vu beaucoup de moines de tout âge. En nous faisant discrets, nous avons pu assister aux repas du midi des moines (plusieurs centaines étaient rassemblés), à des moments de prière avec instruments, à l’entrainement à la lecture de prières par des enfants moines en apprentissage. La lecture de prières en tibétain ou en sanskrit s’apparente à un chant car les moines les lisent à haute voix et très vite. D’ailleurs, ils sont sollicités par des familles croyantes en diverses occasions pour aller prier chez eux car cela prendrait des heures aux croyants pour lire eux-mêmes ces prières. 

Des moines qui servaient le repas pour leurs congénères, nous ont même invités à partager le déjeuner avec eux, une fois leur service fini. Nous avons bu du thé tibétain (thé noir avec lait de yak, beurre de yak et sucre), mangé un mélange de riz sucré avec des graines et des fritures. 

Vincent avait lu sur internet qu’il était possible de se faire héberger dans un monastère le temps d’une nuit et de se lever aux aurores en même temps que les moines pour assister à leurs rituels matinaux. En demandant à un groupe de religieux dans la rue près du monastère, ils nous ont répondu que ce n’était pas possible, sans nous donner de raison. Il faut dire que nous avions des difficultés à communiquer. Mais Vincent n’avait pas dit son dernier mot. Nous sommes retournés à l’accueil pour se renseigner auprès des employés. Ils nous ont amenés voir le moine qui tenait la boutique d’offrandes. Même réponse mais cette fois nous avons eu une explication : ils ne pouvaient pas héberger de femmes. Nous commencions à nous faire à l’idée que notre projet tombait à l’eau lorsque les employés de l’accueil nous ont rappelés pour nous dire que c’était bon, un moine voulait bien nous loger. Il s’agissait du moine qui était en train de livrer le magasin. Super ! Il nous a emmenés chez lui, nous a laissé ses clés et après avoir convenu d’une heure pour se retrouver, est reparti travailler. Il avait la trentaine. Après les logements que nous avions fréquentés, nous ne nous attendions pas à trouver ici confort et espace. Nous avions sûrement en tête les cellules assez spartiates des moines bénédictins… Le moine avait même un écran plat et des grosses enceintes !

La fin d’après-midi arrivée, il nous a rejoint chez lui. Il a commencé par allumer le poêle dans la pièce principale (salon – chambre) car il faisait franchement froid, puis il nous a offert du thé. Son frère est passé et nous avons un peu discuté grâce à notre smartphone, en langue chinoise. Ce n’était pas évident de communiquer ! Nous avons vite compris qu’il ne se levait pas aux aurores pour aller prier. En cette saison, les journées des moines étaient allégées. Et puis, il avait une pièce attenante dédiée à la prière avec un petit autel où se trouvaient icônes, bougies et livres de prières. Il est ensuite parti préparer le repas refusant gentiment notre aide. Il nous a servi et même resservi des pâtes et légumes en soupe, bienvenus avec ce froid. La soirée a été plutôt calme, nous avons regardé un peu de basket à la télévision car il en était fan. Quand la température de la pièce a commencé à redescendre puisque le bois était consumé, il était temps de se coucher. Il dormait dans un lit tibétain en bois et nous sur des petits matelas, non loin de lui. Le lendemain, il a insisté pour nous servir le petit-déjeuner avant que nous partions : pain sec et thé. Nous étions contents d’avoir vécu cette expérience même si ce n’était pas tout à fait ce que l’on avait imaginé.

Notre expérience de Couchsurfing à Xining

Ce n’est pas faute d’avoir voulu faire du couchsurfing en Chine avant, mais il se trouve que les chinois ont leur propre site internet équivalent, qui est bien plus usité. Nous avons quand même réussi à trouver un hôte à Xining, où nous avions principalement prévu de recharger les batteries avant de prendre notre train pour Lhassa au Tibet autonome.

 

Nous sommes donc arrivés chez Kévin et Annie (ils avaient choisi des prénoms occidentalisés pour leurs interlocuteurs non asiatiques) ainsi que leurs deux filles. Kévin était ingénieur dans une compagnie d’Etat et Annie, ingénieure également, avait actuellement arrêté de travailler pour élever leur plus jeune fille en bas-âge. 

De gauche à droite : Kévin, sa belle-soeur, sa plus jeune fille, Annie. Ils nous préparent à dîner les fameux momos (sortes de raviolis) végétariens.
De gauche à droite : Kévin, sa belle-soeur, sa plus jeune fille, Annie. Ils nous préparent à dîner les fameux momos (sortes de raviolis) végétariens.

Un soir, après le diner, nous avons longuement discuté avec Kévin.

 

Il nous a tout d’abord donné le point de vue des Hans par rapport à la situation conflictuelle des Ouïghours dans le Xinjiang. Ils ne comprennent pas pourquoi les Ouïghours ne sont pas plus reconnaissants des améliorations apportées par le gouvernement chinois pour leur niveau de vie. Il nous a informés que beaucoup d’argent avait été dépensé pour la construction d’infrastructures, l’assainissement de leurs villes, etc. De même, il ne comprend pas pourquoi les Ouïghours s’accrochent à leur langue. Pour lui, ils doivent bien apprendre le chinois s’ils veulent pouvoir travailler en Chine. Cela nous a permis de contrebalancer le point de vue des Ouïghours. Chacun se fera son avis… Quant à la question de sinisation du Xinjiang, notre hôte nous a fait remarquer que les européens étaient moins prompts à invoquer les droits de l’Homme au siècle dernier avec les colonies…

 

 A propos de la situation politique en Chine, Kévin était pessimiste quant à l’avenir. En effet, les chinois, contrairement aux occidentaux, n’ont pas la valeur de la démocratie imprimée en eux et n’ont donc pas la culture de penser à s’opposer au pouvoir en place. Bien entendu, le système éducatif n’encourage pas la réflexion. D’ailleurs, les deux soirées où nous étions là, sa fille de 14 ans faisait ses devoirs jusqu’à minuit ou une heure du matin, son père l’aidant. Il nous a confirmé que c’était la norme et pour lui, il s’agissait d’occuper les esprits des plus jeunes. Selon lui, un gouvernement fort était nécessaire pour rassembler et diriger leur peuple nombreux et varié. Il craignait également la police et avait conscience qu’il était très facile de s’attirer des problèmes ou à sa famille. La majorité des grosses entreprises étaient nationales car dès qu’une structure commençait à avoir une importance stratégique, Pékin s’arrangeait pour en prendre le contrôle. Selon lui, il n’était pas possible de devenir riche en Chine sans avoir des appuis politiques, même si la corruption avait bien diminué ces dernières années. 

 

Concernant le Tibet, il regardait d’un mauvais œil l’importance de la religion bouddhiste. Il trouvait exagérés la dévotion des croyants et le montant de leurs dons alors qu’ils vivaient souvent dans la pauvreté. 

Ainsi, avec différents points de vue en tête sur sa situation politique, nous nous sentions prêts à aborder notre semaine au Tibet.