La Chine : voyage dans l'Empire du Milieu (sécuritaire) (1/3)

 

Du 18 novembre au 13 décembre

En y repensant, on pourrait dire que tout a commencé en France, avec notre difficulté à obtenir nos visas touristiques chinois.

 

Nous avions tout d’abord prévu d’effectuer les démarches dans le pays précédent, au Kirghizstan, mais après d’ultimes recherches de dernière minute, nous avons découvert que suite à un attentat-suicide dans l’ambassade chinoise à Bichkek, capitale du Kirghizstan, fin août 2016, les demandes de visas restaient compliquées. Il n’était pas certain qu’on nous permettrait de l’obtenir là-bas, ou du moins il nous faudrait patienter des jours sans garantie. Et après s’être renseignés, il n’était pas non plus possible de faire les démarches dans les capitales que nous allions traverser avant Bichkek. La veille de la date prévue, nous avons donc décidé de repousser notre départ, le temps de faire faire lesdits visas chinois à Paris.

 

Quand nous nous sommes penchés sur les conditions pour les obtenir, nous avons compris que nous allions passer de nombreuses heures là-dessus. En effet, il fallait fournir une date d’entrée précise sur le territoire, une preuve d’entrée et de sortie de Chine, un itinéraire détaillé pendant tout notre séjour, réservations d’hôtels à l’appui. Ayant prévu d’arriver dans le pays en stop, il nous était bien entendu impossible de définir une date précise d’entrée, et pas question de tout planifier à l’avance. Après de multiples recherches, nous avons décidé de leur mentir en leur fournissant un projet de voyage fictif, pas du tout en rapport avec ce que nous avions prévu, juste pour obtenir les visas. Nous avons fait appel à une agence spécialisée qui, moyennant finance, s’est occupée de nous réserver des billets d’avions Paris – Pékin et Pékin – Paris, pour des dates choisies à la louche, qu’elle s’occuperait par la suite d’annuler. Puisque de telles agences existent, nous ne devions pas être les seuls à procéder de la sorte ! Nous avons également inventé un itinéraire, fait des réservations d’hôtels en ligne pour deux semaines (sans verser d’acompte bien sûr), que nous annulerions ensuite sans frais, une fois les visas en poche. Ah, et nous avons dû faire appel à une seconde agence parisienne pour aller faire nos visas à l’ambassade chinoise, dans un délai d’urgence, histoire de poirauter le moins longtemps possible avant de partir. Inutile de vous préciser que l’addition était salée…

 

C’est donc avec un peu d’appréhension et sans certitude que nous sommes partis vers la capitale, espérant récupérer nos visas à l’agence, enfin si tout avait fonctionné. Heureusement pour nous, c’était le cas ! Le 11 octobre, nous sommes donc partis en direction de l’Asie. Et une fois en chair et en os à la frontière chinoise le 17 novembre, nous sommes rentrés sans problème, les gardes-frontière n’ayant à postériori pas accès aux détails de notre demande de visa.

Le Xinjiang

Nous sommes ainsi arrivés en Chine à Kashgar, dans le Xinjiang. Plusieurs mois avant de partir, nous avions lu quelques articles du Courrier International sur la situation tendue dans cette région opposant la minorité Ouïghour et la majorité Han : interdiction de donner certains prénoms (ex : Mohammed), interdiction de porter la barbe longue... Lors du passage de la frontière, un tadjike nous en avait reparlé, précisant que les touristes n’avaient rien à craindre. Mais entre être informé et vivre ces expériences, il y a un fossé. Nous avons été très choqués par le degré de sécurité mis en place dans cette région.

Pour mieux comprendre ces conflits, voici un petit point d’histoire grâce à Wikipedia.

« Le Xinjiang, ou Turkestan oriental, fut rattaché à l'Empire chinois en 1759 mais deux régions de Xinjiang connurent au milieu du XXe siècle de courtes périodes de presque indépendance : l'ouest de Xinjiang de 1933 à 1934 et le nord de Xinjiang de 1944 à 1949. Après sa conquête par l'Empire mandchou, et avant la création de la République Populaire de Chine en 1949, la province manifesta un désir d'émancipation par l'intermédiaire de différents mouvements nationalistes […]. En 1949, les Hans représentaient 6 % de la population de la région.

Après 1949 et l'intégration du Xinjiang à la RPC, les cadres communistes associèrent les élites musulmanes de la Seconde République du Turkestan oriental au régime mais sans parvenir à enrayer le nationalisme ouïghour. Durant la Révolution culturelle, Mao opta pour des méthodes répressives et développa une véritable politique de sinisation avec l'implantation au Xinjiang de millions de Hans, l'ethnie majoritaire en Chine. La politique chinoise s'assouplit en 1978 avec l’arrivée de Deng Xiaoping mais les troubles s'intensifièrent en 1990 après le retrait de l'armée rouge d'Afghanistan et l'indépendance en 1991 de trois républiques musulmanes ex-soviétiques aux frontières orientales de la Chine. Avec les modèles tadjiks, kirghizes et kazakhs aux portes du Xinjiang, les aspirations séparatistes ouïghoures redoublèrent et les revendications prirent une dimension internationale avec l’accroissement du rôle joué par la diaspora.

Au recensement de 2000, le Xinjiang comptait 19,2 millions d'habitants. L'ethnie ouïghoure représentait 45 % de la population et les Hans 41 % […]. Les Hans vivent principalement dans les villes où ils sont souvent majoritaires, ainsi dans la capitale Urumqi ils représentent 70 % de la population.

 

Entre 1987 et 1990, le Xinjiang connut plus de 200 attentats à la bombe, dirigés surtout contre des bâtiments officiels et des bureaux du contrôle des naissances. En 1993, il y eut plus de 17 explosions dans la seule ville de Kachgar et en 1994 trois grosses explosions à Aksu. En 1996, le gouvernement chinois lança une grande opération de lutte contre la criminalité qui se traduisit par une campagne de perquisitions et d'arrestations. »

A gauche la vieille ville de Kashgar, toute reconstruite, classée attraction AAAAA ! A droite, une autre partie de la vieille ville, en cours de destruction.

Certains habitants ne sont visiblement pas prêts à quitter leur domicile.
Certains habitants ne sont visiblement pas prêts à quitter leur domicile.

Ainsi, deux groupes de population cohabitent, aux cultures différentes (langues et alphabets différents), aux religions différentes (les Ouïghours musulmans et les Hans majoritairement athées avec le communisme) et même dans les villes, deux types architecturaux coexistent. 

Quelques images du marché aux bestiaux de Kashgar. On vous a mis les photos les plus soft...

Nous avons donc largement pu observer le système de sécurité poussé mis en place par le gouvernement chinois au détriment des Ouïghours. Les entrées de certains quartiers (la vieille ville de Kashgar par exemple où vivent en grande majorité des Ouïghours), des bazars (lieux culturellement fréquentés par les Ouïghours) : les Ouïghours font la queue et scannent leur carte d’identité, font passer leurs sacs au scanner et passent eux-mêmes sous un portique où ils sont ensuite fouillés au corps par des policiers. Bien entendu, les touristes étrangers et chinois (autrement dit aux faciès différents) ne sont pas embêtés et passent généralement sans contrôle, sauf dans les lieux de haute fréquentation (gare, etc.). Une fois ces contrôlés passés, il y a encore d’autres groupes de policiers qui décident au hasard de contrôler des Ouïghours qui passent par là, allant jusqu’à fouiller le contenu de leur téléphone ! Dans tous les bus, taxis, restaurants, hôtels, magasins, il y a au moins une caméra. Dans tous les hôtels et les banques, et même parfois dans certains grands restaurants, il y a des vigiles à l’entrée et un scannage des sacs avec une fouille au corps. Afin de pouvoir se protéger, dans toute structure et même à chaque stand des bazars, un kit de sécurité a été fourni et un des employés ou le patron lui-même s’il n’y a pas d’employé doit porter un brassard, un casque et un gilet pare-balle, et avoir à porter de main un bouclier et une matraque. Nous avons souvent vu ces équipements prendre la poussière… Par ailleurs, de très nombreux véhicules de police patrouillent jour et nuit, en roulant au ralenti, sirènes allumées. Sur les axes principaux, des postes de police flambant neufs se relaient, parfois à 300 mètres les uns des autres ! Une fois, alors que nous étions dans un bus de la ville, celui-ci a été stoppé par un barrage policier. Un policier est monté à bord, et après quelques secondes passées à dévisager les passagers, il a désigné au hasard deux personnes qui ont dû descendre du bus et aller passer le contrôle. Bien sûr, le bus est reparti sans attendre leur retour.

Dans un restaurant ouïghour, nous avons essayé de discuter de cette situation avec la restauratrice. Au début, elle était très méfiante et nous a même demandé quelles professions nous exercions. Au bout d’un moment, elle nous a fait signe de rentrer à l’intérieur du restaurant, désignant les voitures de police qui passaient sans cesse au ralenti dans la rue. Nous avons tant bien que mal discuté via notre application de traduction, mais malheureusement pour nous, la langue ouïghoure n’était pas proposée. Nous avons dû nous débrouiller avec les mauvaises traductions en chinois simplifié. Elle nous a ainsi confirmé que la situation était très tendue, qu’elle avait peur de la police, que les hommes ouïghours n’étaient pas autorisés à porter la barbe et les femmes le voile islamique (elles portent néanmoins une sorte de foulard noué pour recouvrir leurs cheveux). Nous n’avons pas pu discuter davantage, elle veillait déjà à ce que nous supprimions l’historique de notre conversation sur le téléphone…

A la frontière des saveurs : les samsas ouïghours fourrés à la viande de mouton et les noodles en soupe façon chinoise.
A la frontière des saveurs : les samsas ouïghours fourrés à la viande de mouton et les noodles en soupe façon chinoise.

Nous avons eu la chance de faire une autre rencontre plutôt originale lors du partage d’un taxi pour aller à la gare de Turpan : un policier ouïghour de 24 ans. Il parlait très bien anglais, ce qui nous a permis d’échanger pendant la cinquantaine de kilomètres que nous avions à parcourir ensemble. A vrai dire, nous l’avons bombardé de questions !

 

Il ne travaillait pas directement dans la rue à contrôler les gens, mais dans un bureau, avec plusieurs personnes sous ses ordres. Il n’avait pas vraiment envie de devenir policier mais il fallait bien trouver une voie et son travail était plutôt bien rémunéré. Cependant, il nous a confié qu’il s’ennuyait car il n’avait pas assez de travail, alors il lui arrivait de regarder des films pour passer le temps. Et pour cause ! Il travaillait énormément : de 7h du matin à 12h, suivi d’une pause d’une heure où il déjeunait avec ses collègues, puis de 13h à 18h suivi d’une autre pause diner avec ses collègues après quoi il retournait à son bureau jusqu’à environ 22h. Les policiers vivaient entre eux et partageaient une chambre à plusieurs. En effet, la plupart n’était pas originaire du Xinjiang mais avait été appelés en renfort. Il travaillait ainsi tous les jours, sans week-end, pendant trois mois, après quoi il avait quelques jours où il en profitait pour rejoindre sa petite-amie dans sa ville d’origine. Oui, vous avez bien lu, trois mois sans jour de repos ! Nous avions déjà remarqué que les policiers dans la rue ne faisaient pas grand-chose. Ils étaient en petits groupes, assis près d’un feu de fortune pour se réchauffer, riant entre collègues ou sur leurs smartphones. S’ils faisaient le même genre d’horaire et que le travail manquait, nous comprenons mieux ce qui était à nos yeux leur flemme apparente…

 

Le policier avait le même prénom qu’un célèbre dictateur d’un pays musulman aujourd’hui décédé. Il nous a raconté qu’on lui avait fait comprendre qu’il serait mieux pour lui et sa carrière dans la police chinoise qu’il change de prénom. En cas de refus, il pourrait être sanctionné : « école de redressement ».

 

Par ailleurs, il nous a appris qu’en tant que policier, il ne peut pas quitter le pays, même pour des vacances. D’ailleurs, il n’a pas de passeport. Il lui est donc impossible de voyager. Il nous a confié qu’il rêvait d’Europe, qu’il aimerait bien y vivre car là-bas les gens sont instruits et qu’il n’y a pas tous ces conflits. Il nous a même demandé si en épousant une française, il pourrait avoir sa nationalité… Selon lui, les chinois ne croient en rien à part l’argent, si on leur demande s’ils ont des amis, ils répondront que non et certains n’ont même pas confiance en leurs parents !

 

 

Sur le plan sécuritaire, il nous a avoué que pour lui il y avait trop de contrôle face au risque terroriste. Par exemple, nous avions remarqué qu’à chaque station essence, il y avait un barrage et une fouille de la voiture (pour prévenir une explosion criminelle). Il nous a expliqué que les policiers avaient des consignes particulières de laisser-passer pour les touristes et que les rares fois où on nous avait demandé nos passeports, c’était pour vérifier notre nationalité car il y a une liste de 25 – 30 pays considérés à risque, dont la Turquie. Il nous a également confirmé que la police pouvait regarder le contenu des téléphones portables et vérifier la présence d’images ou vidéos à caractère terroriste, ou simplement celle d’un drapeau turc. Si c’était le cas, la personne était directement envoyée en prison pour 3 à 6 mois. Vous prenez ce risque également si vous portez la barbe ou le voile. Selon lui, il y a beaucoup de personnes en prison en ce moment. D’ailleurs la prison est davantage considérée comme une « école de redressement » qui permet à l’individu de retourner dans le droit chemin. Les personnes qui ont quitté la Chine pour la Turquie et qui voudraient rentrer sont incitées à le faire, on leur assure qu’elles n’auront pas de problème mais une fois rentrées, elles sont directement envoyées en prison où elles sont interrogées. Ainsi, ceux qui partent du Xinjiang ne reviennent pas. Il assure que les tensions sont à leur comble et qu’au moindre nouvel attentat, la réplique de Pékin sera énorme…

Au vu des nombreux attentats perpétrés dans cette région de Chine, nous comprenions bien qu’il existait un véritable risque terroriste. Le gouvernement chinois a choisi d’y répondre en instaurant un système sécuritaire très poussé. A côté, notre état d’urgence français paraissait bien pâle...et tant mieux ! Cependant, alors que nous étions seulement des touristes, en dehors de cette situation conflictuelle, nous nous sentions nous-mêmes oppressés par tant de sécurité. Bien sûr, cela ne nous a pas empêchés de découvrir les richesses culturelles de la région.