10 jours au Kirghizstan

 

Du 7 au 16 novembre 2017

Après quelques recherches, nous avions conclu que ce qui valait le coup d’œil au Kirghizstan était ses montagnes et ses lacs disséminés ici et là, coincés dans ses reliefs. Il n’y avait qu’à choisir. Nous avions d’abord prévu de nous arrêter quelques jours à Bichkek, la capitale, puis nous avions envisagé une randonnée à cheval de plusieurs jours auprès du lac Song-Köl situé à plus de 3000 mètres d’altitude. Après cela, nous voulions nous diriger vers le sud et Och (deuxième ville du pays) afin de nous rapprocher de la frontière avec la Chine. 

Le stop d’Almaty à Bichkek devait être assez facile car il n’y avait que 250 km. Cependant, nous avons mis plus de 4 heures à trouver un premier véhicule, le tout sous une pluie battante qui n’était pas décidée à nous laisser un peu de répit.

En quinze minute top chrono, nous étions passés du Kazakhstan au Kirghizstan. De part et d’autre de la frontière se déroulait un curieux manège : des personnes allaient et venaient à pied munies d’un diable tantôt vide, tantôt chargé. Quand elles n’avaient pas de chargement, elles serpentaient entre les voitures, l’œil attentif, à la recherche d’un futur client. L’ambiance aux abords de cette frontière était effervescente et donnait l’impression d’une fourmilière. Notre chauffeur, parlant anglais, nous a ensuite expliqué qu’on appelait ces personnes les helpers. Il y a quelques années, des accords commerciaux entre la Chine et le Kazakhstan favorisaient l’échange de biens. Le Kirghizstan en étant exclu et la quantité de produits par personne passant la frontière entre Kazakhstan et Kirghizstan étant limitée, les helpers sont apparus. Ils faisaient des allers et retours au poste frontière, contournant ainsi cette restriction quantitative. Aujourd’hui, le Kirghizstan a également signé ces accords, et quelques helpers subsistent. 

A Bichkek, nous avons séjourné chez une famille franco-kirghize. Nous nous étions dit que cela nous permettrait certainement d’en apprendre beaucoup sur le Kirghizstan et ses habitants, en plus de nous aider à nous adapter à un nouveau pays et à planifier notre séjour. Nous ne nous étions pas trompés. 

Nous sommes ainsi arrivés chez Stéphane, d’origine française, sa femme Nazgul kirghize et leurs deux filles. Stéphane donnait des cours de langue française principalement via une plateforme en ligne et Nazgul était à la recherche d’un emploi. Il y a quelques années, le français ayant le vent en poupe, ils avaient créé ensemble une école d’apprentissage de notre langue. En effet, les kirghizes désirant émigrer vers un pays plus développé se tournaient vers le Québec qui, manquant de main d’œuvre, avait mis en place une politique d’émigration favorable. Pour obtenir l’autorisation de vivre et travailler sur le territoire québécois, il était notamment nécessaire de maitriser (un peu) la langue française. Quand cette voie d’immigration s’est ouverte, elle a eu un tel succès que les autorités québécoises et canadiennes se sont vite retrouvées débordées. Si le Québec a pu suivre la cadence, le Canada, qui devait donner l’accord final au droit d’immigrer, a pris du retard (jusqu’à deux ans après la demande). Selon Stéphane, le Canada aurait également freiné la cadence volontairement car les immigrants ne se rendaient pas seulement au Québec mais aussi dans tout le territoire canadien, qui lui n’avait pas besoin de main d’œuvre supplémentaire. Découragés par cette attente et devant maintenir un niveau de français acceptable pendant ce délai, les candidats se sont faits de plus en plus rares et l’école a dû finalement fermer. 

Stéphane et Nazgul nous ont appris beaucoup de choses sur les kirghizes. Tout d’abord, leur notion du temps est différente, et à son arrivée, Stéphane avait dû apprendre à vivre plus lentement, et même à ralentir son rythme de marche dans la rue ! Aussi, les kirghizes n’aiment pas planifier, ils vivent dans la spontanéité du moment présent. Fixer des rendez-vous pour les cours de français une semaine à l’avance avait été compliqué au début et Stéphane devait souvent rappeler son élève avant pour ne pas qu’il l’oublie. 

Il nous a également expliqué que comme pour les kazakhs, c’est la famille qui occupe la place la plus importante dans leurs vies. Par exemple, Stéphane a déjà été contacté un matin par un professeur qui lui apprenait qu’il n’allait pas pouvoir assurer ses cours pendant plusieurs jours car il devait aller s’occuper de sa mère malade au village. Il l’appelait juste pour l’informer car de toute façon il était déjà parti ! Par ailleurs, dans chaque maison, il faut pouvoir accueillir toute la famille si besoin. Ils ont ainsi de grandes pièces presque vides où ils mettent sur le sol des petites nattes (avec un peu de mousse quand même), des couettes et des coussins, empilés, à disposition, au cas où. Il faut savoir qu’eux-mêmes dorment sur ce type de couchage, ils n’ont pas de lit comme chez nous. Dans la famille, le fils le plus jeune est celui qui s’occupera de ses parents âgés (les établissements type maisons de retraite sont fréquentés par les personnes âgées qui n’ont pas d’enfant) et qui récupérera la maison familiale. De plus, ils aiment se réunir et se voient à l’improviste, parfois tous les jours. Ils ont un grand sens de l’hospitalité et se sentent en retour comme à la maison chez vous. Quand leur école était à leur appartement, Stéphane et Nazgul nous ont expliqué que ce n’était pas rare que des élèves se servent dans le frigo ! Une fois, en attendant que Stéphane arrive, son élève accompagné de sa mère et de sa fille s’étaient carrément installés dans son canapé-lit !

Nous avons également appris que beaucoup de Kirghizes ont leur propre petite affaire, ce sont de grands commerçants. Ils achètent et revendent sans cesse. A Bichkek comme à Almaty, et même à Osh, il y a un grand bazar et plusieurs autres petits. Ainsi, certains achètent parfois en gros à un bout du bazar et revendent au détail à l’autre bout. Nous avions déjà constaté cette multitude de petits commerces, parfois avec peu de marchandise et souvent la même que le voisin. 

Bichkek a ainsi été notre pied-à-terre pour planifier la suite. Nous avons d’ailleurs dû changer nos plans car nous étions trop avancés dans la saison pour aller randonner à cheval au lac Song-Köl, toutes les installations provisoires étaient fermées et il y avait de la neige. A la place, on nous avait conseillé de nous rendre à la réserve naturelle de Sary-Chelek, où les paysages et les lacs étaient magnifiques et où il n’était pas trop tard par rapport à la météo. 

Nous avons découvert un moyen de transport très répandu au Kirghizstan et très bon marché : les marchoutkas. Le chauffeur ne ménage pas les passagers avec sa conduite brusque et vous avez plutôt intérêt à vous faire petit et à anticiper votre descente au vu de la fréquentation. 

Avant de partir, nous nous sommes un peu baladés dans Bichkek, avons fait une randonnée dans les montagnes environnantes, et nous avons quand même été au grand bazar de la ville. Au retour du marché, il faisait nuit et c’était très embouteillé, nous voulions rentrer en bus chez Nazgul et Stéphane, mais à l’arrêt, il n’y avait aucune information. Nous avons commencé par essayer de nous faire comprendre auprès d’une des nombreuses personnes à l’arrêt, mais c’était compliqué car nous n’avions pas la langue kirghize sur notre application, elle n’était disponible qu’avec internet. Et si les kazakhs comprenaient souvent le russe, ce n’était pas le cas des kirghizes. Au bout d’un moment, un chauffeur dans sa voiture, à l’arrêt dans les bouchons, nous a fait signe de venir. Après lui avoir expliqué tant bien que mal que nous ne savions pas quel bus prendre, il nous a proposé de nous conduire lui-même à destination. Nous avons ainsi rencontré Askhat (lire Achrat), environ trente-cinq ans. Il nous a d’abord demandé ce que nous pensions du Kirghizstan, puis notre programme touristique. Il était très content de voir des touristes, il aimait lui-même beaucoup son pays qu’il trouvait magnifique et voulait aider les étrangers à découvrir sa beauté. Il n’était pas le seul car tout au long de notre séjour, nous avons été surpris par la quantité de kirghizes qui nous ont salué et nous ont souhaité la bienvenue dans leur pays. Nous avons invité Askhat à boire un thé (le café commençait déjà à se faire rare), pour le remercier et discuter un peu plus. Nous lui avons parlé de Sary-Chelek et le hasard faisant bien les choses, il nous a appris qu’il venait d’un petit village juste à côté et que ses parents y habitaient encore. Ni une ni deux, il nous a dit que ses parents pourraient nous accueillir et les a tout de suite appelés. C’était réglé, ils nous invitaient à séjourner chez eux, le surlendemain. Askhat nous a même mis en contact avec un taxi qui nous emmènerait là-bas pour un bon prix. Bon, nous comptions le faire en stop mais nous n’allions pas refuser, même si cela nous paressait tricher par rapport à notre défi Angers – Kachgar en stop… Et puis avec le stop, on ne pouvait pas garantir une date d’arrivée, ce qui était compliqué par rapport à ses parents. En acceptant avec enthousiasme, nous avons quand même informé Askhat que nous voudrions faire une randonné à cheval pour aller voir les lacs, donc si ses parents connaissaient quelqu’un pour nous louer des chevaux et nous accompagner, c’était parfait. Pas de problème, il allait voir ça avec ses parents. Génial ! 

Un peu plus tard dans la soirée, en communiquant avec Askhat, il nous a malheureusement informés que ses parents habitaient trop loin de l’entrée de la réserve naturelle pour y aller à cheval, et que de toute façon ils ne connaissaient pas de possesseurs de chevaux aux alentours. Il nous a dit que le plus simple serait d’aller séjourner à Arkit, où il y avait tout ce qu’il fallait pour les touristes. Zut, nous étions déçus. Nous lui avons proposé la chose suivante : nous rendre à Arkit dans un premier temps, faire notre randonnée à cheval, puis ensuite aller voir ses parents, car nous avions bien envie de les rencontrer quand même… Le programme leur allait, à lui et à ses parents, c’était parfait. Par contre, nous ne voulions plus y aller en taxi, puisque plus personne ne nous attendait sur place un jour précis. Nous étions gênés de devoir nous désister auprès du taxi plus ou moins réservé quelques heures plus tôt. Tant pis, nous avons dit à Askhat que nous voulions y aller en stop. 

Nous sommes donc partis le surlendemain, le trajet s’est merveilleusement bien déroulé avec le même chauffeur tout du long, et pour la première fois, nous avons déjeuné assis.

Nous avons dormi à Tachkoumyr, et le lendemain, nous avons pris un marchoutka pour aller jusqu’à Arkit. Nous avions prévu d’y aller en stop mais devant l’insistance et l’incompréhension de nos hôtes vis-à-vis de notre pratique, nous avons fini par céder. Le trajet a été très mouvementé, nous nous en souviendrons : cela serpentait beaucoup, nous sommes restés debout un moment sans voir la route, puis plusieurs passagers ont incité Mélanie à s’assoir, Vincent n’ayant pas la « priorité » selon leur ordre établi. Et comme du monde montait et descendait tout le temps, nous passions notre temps à nous assoir, nous lever, le tout en peinant à garder notre équilibre quand nous étions debout. Et avec ça, nous essayions de ne pas avoir le mal des transports alors qu’il y avait l’odeur d’une jeune fille qui avait dû se soulager dans un sac si vous voyez ce que nous voulons dire… Bref, nous sommes arrivés à bon port, nous avons trouvé une guest-house pour le gîte et le couvert, un peu à la dure mais cela nous importait peu : nous étions dans une toute petite dépendance de deux pièces, ayant du mal à se réchauffer avec le petit radiateur électrique qu’on nous avait fourni, les toilettes étaient au fond du jardin et pas de douche. 

Le lendemain, nous sommes partis à la journée avec un guide, à cheval, pour aller voir les différents lacs de la réserve. Cela valait vraiment le coup, il n’y avait pas de route, nous étions au milieu de la nature. 

En fin d’après-midi, notre guide parlant anglais, nous lui avons demandé de contacter les parents d’Askhat pour leur confirmer notre venue le soir-même (eux ne parlaient pas anglais). C’était bon, il ne nous restait plus qu’à trouver une voiture descendant vers leur village. En fait, nous n’avons même pas eu besoin de chercher, notre guide se rendait quelque part le soir et c’était sur sa route. Parfait ! Quand une voiture quittait le village, elle partait souvent remplie d’habitants qui profitaient du trajet. 

En nous déposant, notre guide nous a grosso-modo indiqué où se trouvait la maison et avec le nom de famille des parents d’Askhat, nous ne devions pas avoir de mal à trouver. Il faisait nuit et il n’y avait pas d’éclairage électrique. Avant de prendre la route qui devait être celle indiquée, nous avons quand même redemandé à quelqu’un dans la rue, en lui précisant le nom de la famille chez laquelle nous nous rendions. Il nous a fait signe de le suivre, et nous a conduit directement à la maison en question. Une fois déchaussés, nous sommes rentrés dans la pièce de vie (un combiné de cuisine, salon et salle à manger) où nous nous sommes installés par terre autour de la petite table. Ils nous servaient déjà à manger et nous avons engagé la conversation en leur écrivant sur le téléphone quelque chose comme : « Alors, vous êtes les parents d’Askhat ? ». Et là, devant l’air d’incompréhension de la femme, nous avons eu un doute… Nous lui avons montré la photo prise quelques jours plus tôt, elle nous a fait signe que non, ce n’était pas son fils. En même temps, ils nous poussaient à manger ce qu’ils nous avaient servi, mais nous n’osions pas car si nous n’étions pas au bon endroit, cela voulait dire que les parents d’Askhat, eux, nous attendaient toujours pour diner ! Cela voulait aussi dire que cette famille, qui ne nous attendait pas, nous avait ouvert la porte de leur maison, comme ça ! Ah oui, c’est l’hospitalité kirghize… Mais quand même ! La femme nous a alors passé quelqu’un au téléphone, qui parlait anglais. C’était son fils, qui n’était pas Askhat ! Nous avons alors compris qu’il y avait eu une confusion dans les noms de famille qui se ressemblaient beaucoup. Ils ont dû appeler la bonne famille car le jeune frère d’Askhat est venu nous chercher, avec sa maman. Après avoir remercié la « mauvaise » famille pour son hospitalité, et ri tous ensemble du quiproquo, nous avons suivi les Nurbolot jusqu’à leur maison, qui était bien plus loin. Nous sommes rentrés dans la maison, et là, changement de décor ! C’était spacieux, le plafond était haut, l’aménagement de la maison était fini (tapisseries, luminaires, etc.), ce qui était plutôt rare ces derniers temps. Nous avons avancé jusqu’à la salle à manger et un festin nous attendait : sur la table, des plats très colorés contenaient une multitude de bonbons et de gâteaux, des coupes étaient remplies de miel, de beurre, de confiture, de pistaches, de cacahuètes et de graines diverses. Le mélange était surprenant mais c’était comme ça au Kirghizstan. Tout au long du repas, il y avait des mets à disposition en plus du ou des plats servis au fur et à mesure, et qui faisait office de dessert. Nous étions ainsi à table avec les parents d’Askhat et son petit frère, quand un homme et un enfant nous ont rejoint. Il s’agissait d’un voisin, enseignant d’anglais d’une école d’un village voisin, qui nous servirait d’interprète et qui était intéressé de nous rencontrer. Nous avons discuté plusieurs heures, autour d’une soupe de mouton maison. Ses parents avaient trois fils et une fille, qu’ils venaient de marier le week-end dernier et d’ailleurs la réception avait eu lieu dans cette maison. Un de leurs fils travaillent aux Etats-Unis, Askhat à Bichkek tout comme sa sœur et le petit dernier était toujours à la maison avec eux. Le père travaillait au service de contrôle des passeports et la mère travaillait dans l’école du village, mais n’était pas enseignante. En plus de leur travail, ils avaient des moutons pour la viande et le beurre, ils produisaient leur propre miel, avaient leurs propres arbres fruitiers. Après avoir échangé un peu sur nos deux pays et nous avoir parlé d’Emmanuel Macron (et de Brigitte, célèbre pour son âge !), le professeur d’anglais nous a traduit que le père voulait abattre un mouton pour nous le lendemain pour fêter notre venue chez eux. Nous avions entendu parler de cette coutume d’hospitalité par Nazgul à Bichkek et nous avons bien sûr accepté, contents de vivre ce qu’on nous avait raconté. Ils nous ont ensuite installés pour nous coucher dans une pièce vide comme expliqué plus haut, et ils sont sortis de la maison ! Nous avons ensuite fureté un petit peu dans les pièces, et avons compris que ce n’était pas leur maison, mais une maison de réception ! Il y avait la salle à manger où nous étions, une autre salle à manger avec une table basse et où on s’asseyait par terre, et deux pièces pour coucher tout le monde. Il n’y avait ni cuisine ni salle de bain. Cela corroborait vraiment avec ce que nous avaient expliqué Nazgul et Stéphane : l’hospitalité est très importante pour les kirghizes, même si eux vivent moins bien que comment ils reçoivent. Nous nous sommes alors demandé à quoi devaient ressembler la maison où ils habitaient. Il était tard, nous nous sommes couchés, c’était plutôt confortable. Nous avions hâte d’être au lendemain !

Nous nous sommes retrouvés pour le petit-déjeuner le lendemain dans la salle à manger, le voisin enseignant d’anglais également. Comme nous étions lundi, tout le monde devait aller travailler. Nous avons demandé si c’était envisageable d’accompagner l’un deux à son travail, juste pour observer leur quotidien, par exemple à l’école, où cela devrait être plus facile. Le professeur d’anglais nous a traduit que cela allait être difficile à l’école car la mère d’Askhat avait une importante réunion et que le père nous mettrait sur la route du retour. Nous avons donc compris à ce moment-là que le programme convenu du lendemain n’allait pas se réaliser. Le père a ensuite rajouté que si nous étions venus un week-end, il aurait abattu le mouton avec joie mais qu’en semaine c’était trop compliqué. A la place, il nous a dit qu’il trinquerait avec les voisins pour célébrer notre venue. Nous étions déçus bien sûr, mais nous comprenions bien leurs obligations. La maman a apporté un chapeau à Vincent et un foulard pour Mélanie, nous les a ajustés comme il fallait. Nous avions déjà vu ce chapeau porté quotidiennement par des hommes kirghizes. Nous avons pris une photo tous les trois. Le voisin nous a expliqué que c’était la coutume ici, témoignage d’un bon accueil. 

Il était temps de partir, nous avons refait nos sacs à la hâte, et le père d’Askhat nous a déposé à un village plus bas, nous montons dans un taxi pour la ville où nous avions pris le Marchoutka deux jours auparavant. Techniquement, nous n’avions pas triché sur notre objectif puisque nous reprenions le stop exactement au même endroit où nous avions arrêté pour aller à Sary-Chelek. Nous avons ainsi trouvé un camion pour Osh. 

A Osh, nous avions prévu de rester quelques nuits en couchsurfing chez Iskander, sa femme et leurs trois fils. Une fois déposés par le camion près de la gare, il fallait trouver un bus pour nous emmener à la bonne adresse. Nous avons alors aperçu une fille en sac à dos, de l’autre côté de la route. C’était la première depuis notre départ ! Elle nous a rejoint et nous avons engagé la conversation. Elle était d’origine espagnole et s’appelait Maria. Elle était en stage à Bichkek et passait juste une journée à Osh pour découvrir la ville. Elle faisait du couchsurfing comme nous, et elle venait d’arriver par le marchoutka. Nous avons comparé nos destinations, qui se trouvaient proches. Nous nous sommes donc renseignés ensemble pour savoir quel bus ou plutôt quelle Marchoutka prendre, et c’était parti. Avant de se séparer, nous avons échangé nos numéros de téléphone, pour peut-être se retrouver le lendemain. 

Nous sommes ainsi arrivés chez la famille kirghize. La belle-sœur d’Iskander vivait également avec eux. Après nous avoir montré notre chambre (similaire à celle quittée le matin même chez les parents d’Askhat), ils nous ont proposé de diner avec eux. Nous nous sommes donc installés par terre autour de la table et ils nous ont servi l’équivalent kirghize du plov, avec du thé. Iskander et sa femme dirigeaient une école privée. Quand leur premier fils a été en âge de rentrer à l’école maternelle, ils ne trouvaient pas d’établissement pour lui car parmi ceux existants soit il y avait de l’argent mais pas de professeurs pour y travailler, soit l’inverse. Ils ont ainsi ouvert une école maternelle, puis une école primaire. D’ailleurs, leur unique condition pour venir faire du couchsurfing chez eux était de passer une heure ou deux avec les plus grands de l’école primaire, qui avaient déjà commencé à apprendre l’anglais. Aucun problème pour nous, nous étions curieux de cette rencontre.

Le lendemain, nous avons passé une bonne partie de la journée avec Maria, à découvrir Osh : ses parcs, sa place centrale avec la mairie et l’immense statut de Lénine qui se font face. Le midi, Maria nous a proposé de déjeuner avec une amie de Bichkek, française, qui avait été mutée pour un an à Osh. Elle travaillait pour une ONG. Après un petit tour au bazar, nous nous sommes séparés en fin d’après-midi. Estelle, la française, avait proposé de se retrouver le soir avec d’autres de ses connaissances, des expatriés eux-aussi. Nous devions être cinq-six personnes mais l’invitation avait fait boule de neige et nous étions plus d’une quinzaine ! Cela faisait bizarre de voir autant de têtes européennes, américaines, des faciès connus quoi ! Nous qui la veille encore n’avions vu personne depuis un mois. L’ambiance était sympathique et les discussions enrichissantes, avec un très bon niveau d’anglais. La plupart travaillaient pour des ONG, certains étaient en voyage au long court, comme nous. L’expérience avait été intéressante, mais nous n’étions pas fâchés de nous replonger dans la découverte et l’inconnu, loin de ce que nous connaissons déjà.

Le lendemain, la journée était aux préparatifs pour la Chine : quoi dire si on nous questionne sur notre itinéraire, quoi répondre si on nous fait remarquer qu’on ne suit pas du tout l’itinéraire annoncé lors de la demande de visa (normal, nous en avions fait un bidon, omettant le Tibet et l’arrivée en stop car nous n’avions pas le droit, avec des réservations d’hôtels ensuite annulées, et avec un billet d’avion Paris-Pékin annulé une fois que nous avons obtenu le visa), etc. Nous prévoyions aussi le début de notre itinéraire en Chine. En début d’après-midi, nous nous sommes rendus à l’école de nos hôtes. Nous avons ainsi passé deux heures avec une classe d’enfant de huit à dix ans. Nous avons échangé sur la France, le Kirghizstan, avec l’aide de leur professeur d’anglais. Ils étaient plutôt curieux mais bien sûr timides à cet âge… Nous leur avons demandé de chanter leur hymne national, et avons chanté la Marseillaise après eux. Nous sommes ensuite restés pour assister à leur cours de Yoga, qui a duré une petite heure. 

Le soir, nous avons été au restaurant avec Iskander et sa femme, une des dernières fois où nous mangions kirghize. Mélanie n’en était pas fâchée car elle n’en pouvait plus de manger tout le temps des pâtes, de la viande et beaucoup de gras ! Ce dernier repas n’a d’ailleurs pas dérogé à la règle. A ce propos, Iskander nous a proposé une devinette : qui mange plus de viande qu’un kirghize ? 

« C’est le loup ! Et encore, c’est parce que le kirghize, lui, doit payer pour manger de la viande ! »

Nous sommes partis d’Osh en stop le 16 novembre. En une journée, nous étions rendus au poste de frontière d’Irkeshtam. Nous nous rappellerons particulièrement d’un de nos chauffeurs de la journée… Nous étions dans sa camionnette, il y avait deux rangées de sièges. Nous avons roulé un moment tous les trois, ce qui nous a permis d’échanger un peu et de sympathiser. Vincent était à l’avant, Mélanie à l’arrière de la voiture. Nous avons appris qu’il avait deux femmes et dix enfants. Bon, ce n’était pas la première fois que nous rencontrions des polygames. Suite à cela, en s’adressant à Vincent, il lui a dit que sa femme était belle et forte et qu’elle pourrait lui donner cinq enfants ! Nous avions ainsi rapidement cerné le personnage !

Plus tard, notre chauffeur s’est arrêté pour prendre trois autres personnes, un couple assez âgé, et une femme d’environ 45 ans. Cela ne nous était jamais arrivé, et nous savions que les trois personnes covoituraient moyennant finances. Nous avons toujours répété que nous ne faisions pas du stop pour économiser de l’argent, mais pour l’enrichissement qu’apporte la rencontre de locaux, qui eux aussi ont envie de nous rencontrer, puisqu’ils nous prennent dans leur voiture, seulement poussés par leur curiosité (ou leur âme charitable peut-être), mais pas par la perspective de gagner de l’argent. Cependant, nous nous étions dit que si nous ne voulions pas payer quelqu’un pour faire la route spécialement pour nous, nous nous plierions aux coutumes locales et tant pis si le stop se transformait en covoiturage improvisé. Nous sommes donc partis, à six dans la camionnette. Au bout d’un moment, le chauffeur a proposé de nous arrêter manger. Le couple nous a attendu, ils n’habitaient pas très loin et mangeraient donc chez eux. Ils avaient l’air d’avoir de petits moyens. Ils ont tenu bon devant l’insistance de Vincent pour les inviter à déjeuner. Pendant le repas, nous ne comprenions pas ce qui se disait mais d’après les intonations de voix et le rire gêné de la femme, nous avons compris que notre chauffeur faisait du gringue à notre covoitureuse ! Visiblement, il n’en ratait pas une ! 

Nous sommes repartis, et après avoir déposé le couple, le chauffeur, voyant Vincent prendre des photos avec le portable à travers la vitre, devant un point de vue magnifique dans les montagnes enneigées. A ce col à plus de 3500 mètres, il a arrêté le camion et lui a fait signe de sortir. Ils ont pris quelques photos ensemble. Il avait l’air de bien aimer Vincent ! Quand ils sont revenus, il a fouillé sous les sièges arrière (au passage, en étant assez tactile avec notre covoitureuse qui devait se pousser pour lui donner l’accès…). Il en a sorti…une bouteille de bière (d’un litre) et des gobelets ! Il nous a tous servi une fois, avec des petites cacahuètes dans la bière, puis une deuxième fois, sans s’oublier bien sûr ! Et nous sommes repartis. Plus tard, il s’est de nouveau arrêté au passage d’un autre col pour que Vincent sorte prendre des photos du paysage, et de nous trois ! Et au moment de repartir, qu’est-ce qu’il a sorti de sous les sièges ? Une nouvelle bouteille de bière et son petit sachet de cacahuètes. Rebelotte ! Tranquille ce covoiturage organisé ! Même avec quelques verres de bière, il nous a laissé au bon endroit et pour l’anecdote, ne nous a pas demandé de lui payer quoique ce soit pour le trajet.

Juste avant Irkeshtam, notre destination pour la nuit, le village de Sary-Tash : à gauche, direction la Chine et à droite, le Tadjikistan.
Juste avant Irkeshtam, notre destination pour la nuit, le village de Sary-Tash : à gauche, direction la Chine et à droite, le Tadjikistan.